Noémie découvre les lieux, une pièce étroite meublée d’un bureau. «J’ai le plaisir de vous présenter votre nouvelle place de travail, débite Catherine en faisant défiler de l’index le texte sur sa tablette, l’Administration générale se métamorphose en un office ultraperformant, plus léger, afin de répondre aux nouvelles exigences budgétaires. La population profite désormais d’un service simplifié, mais considérablement amélioré. Les administrés, et c’est le point phare de la mutation – on peut parler d’une révolution –, bénéficient maintenant des dernières technologies interactives pour les orienter. Noémie, vous avez été choisie pour participer à ce que l’on peut décrire comme une montée en puissance : on compte sur vous. »
Noémie qui aimerait situer Catherine lui demande si elle fait partie des Ressources humaines, où elle ne l’a jamais vue.
– À vrai dire… non. Pourquoi?
– Mais vous faites partie de quel service? Catherine lui jette un regard surpris par-dessus sa tablette. La question ne fait apparemment pas partie de l’échange prévu. Elle lâche comme une faveur, une confidence à laquelle elle n’est pas censée se livrer :
– Disons que je suis déléguée par une entreprise qui… ah, comment vous expliquer… notre spécialité, c’est le management. Nous intervenons sur mandat pour réorganiser les sociétés et les administrations.
– Une boîte privée si je comprends bien? C’est vous qui réorganisez l’Administration générale?
– Si vous voulez. Je n’ai pas beaucoup de temps à vous consacrer, fait la jeune femme replongée dans sa tablette, alors avançons. Votre travail consiste à informer les administrés qui appellent. Pas de souci, tout est très bien pensé, vous verrez. Le téléphone est là, je vous laisse jeter un œil sur le mode d’emploi, juste à côté. Bon. Pour aiguiller les gens, vous disposez d’une liste de réponses. Cette liste figure dans le menu de l’intranet « Réorganisation de l’Administration générale », sous l’onglet FAQ. Je vous engage à la connaître sur le bout des doigts. Voyons… Qu’est-ce que j’aurais oublié? (L’index frenchmanucuré, brillant sur la lunule, blanc mat à l’extrémité, une minuscule rose rouge au centre, fait défiler du texte sur la tablette.) Ah oui, l’ordinateur : notez s’il vous plaît… utilisateur noémie tout en minuscules, mot de passe XQT685 en majuscules, oui c’est ça. L’appareil est connecté sur l’intranet seulement. Bien. Une question?
Catherine range la tablette dans son sac à main et pose une main sur la poignée de la porte.
– Mais… c’est tout? se dépêche de demander Noémie, enfin, tout ce que je… Je reste assise ici avec le téléphone et cette… euh… liste?
– Comment ça, tout? Ne vous inquiétez pas, tout ira très bien.
Noémie voit rouge. Dégradée au rang d’une sorte de répondeuse téléphonique?
– Ce n’est pas possible. Je vous signale, madame, que j’ai un diplôme d’Études supérieures en Assistanat de Direction et que je secondais, il y a deux mois encore, le chef du Département. Il y a une erreur.
– Appelez-moi Catherine, vous voulez bien? Pour ce genre de problème, vous vous adressez aux Ressources humaines dont le numéro d’appel interne figure ici : 5678. Ah, encore une chose, zut, c’est dans un autre fichier… (exhumation de la tablette du sac à main et recherche). Votre présence à votre place de travail est obligatoire de 7 h à 16 h, compte tenu d’une pause d’une heure. Vous pouvez prendre la pause en horaire flexible. Bon. Mais attention, l’office est ouvert de 7 h à 19 h. Vous devez donc rester joignable. Nous avons souhaité cette amélioration des prestations au public.
Noémie fixe incrédule Catherine qui, les sourcils froncés, énumère ce qu’elle lit sur son écran :
– Vous êtes autorisée à répondre pendant votre pause de midi à l’extérieur. Vous êtes également autorisée à quitter le bureau à 16 h. Mais bien entendu, de 16 h à 19 h, vous devez rester joignable. Vous êtes autorisée, excusez-moi… attendez… voilà : vous êtes autorisée à répondre sur le chemin de votre domicile et depuis chez vous. Vous devez donc emporter le téléphone avec vous à 16 h et le garder allumé jusqu’à 19 h. Non non, pas de souci, il est prévu pour ça. Aucun souci. Et puis allez, je vous donne un tuyau pour la pause de midi (elle regarde enfin Noémie en clignant de l’œil, comme une bonne copine): le restaurant de Hoobita n’est pas mal du tout.
Noémie en reste bouche ouverte.
– Parfait. Merci, fait Catherine en virevoltant vers le couloir, vous m’excuserez je dois filer… Tout est ici dans le classeur. Bon travail.
Extrait de la nouvelle « RH interne 5678 », du recueil Pas de Souci!. Annik Mahaim sera à la Librairie Basta le mercredi 7 octobre à 18h pour le lancement de son recueil.