4 questions à Marc Voltenauer, auteur d’un premier polar, Le Dragon du Muveran, à paraître fin octobre 2015.
1) Marc Voltenauer, votre parcours est étonnant : comment, d’une vocation initiale de pasteur, en arrive-t-on à écrire des romans policiers ?
Un matin je me suis mis à écrire, c’est aussi simple que cela.
Avec le temps et de nombreuses lectures de romans policiers à mon actif, j’ai commencé à m’intéresser à la construction du récit et des intrigues. Je trouvais fascinant le fait de concevoir de toutes pièces une histoire et de la raconter. Créer le suspense. Maintenir l’intérêt du lecteur éveillé. Mais au-delà de mes devoirs d’école ou à l’université, je n’avais jamais rien écrit. Des cartes postales, oui. Des discours pour le travail, oui. Mais je n’avais jamais rien rédigé d’autre. Et je ne me sentais pas capable d’écrire. J’étais admiratif de tous ces auteurs que je lisais.
Écrire un roman policier n’a donc jamais été un projet réfléchi et muri. Ce fut un acte spontané et irréfléchi. Durant le voyage autour du monde que j’ai fait avec mon ami, j’ai eu le temps de lire, jour après jour, et l’idée a germé en moi sans vraiment que je m’en rende compte.
C’est donc au retour de notre voyage que tout s’est déclenché.
Juste avant Noël, en 2012, je me suis réveillé au milieu de la nuit. Je suis allé me faire un café et j’ai commencé à mettre sur papier les grandes lignes de l’intrigue du Dragon du Muveran.
La nuit suivante, rebelote. Je me trouvais avec ma tasse à café et je relisais les notes de la veille. J’ai été moi-même étonné de mon imagination foisonnante. Et d’avoir élaboré en très peu de temps les grandes lignes de mon futur roman.
Mais là, je me trouvais devant mon ordinateur avec un titre et une page blanche. Et il me fallait commencer à écrire. Jamais je n’avais décrit des personnages, des lieux, des ambiances et encore moins eu l’occasion de m’entrainer à l’exercice redoutable de rédiger des dialogues. Et pourtant il fallait se lancer. A l’heure du petit-déjeuner, le prologue était terminé et j’avais brossé le portrait des personnages principaux.
Très vite, l’écriture est devenue un savoureux mélange entre envie et besoin. Une sorte de drogue douce à laquelle j’avais succombé sans même m’en rendre compte. Je devais écrire et encore écrire, toujours écrire. Une année et demie après cette nuit de Noël de 2012, j’écrivis la dernière ligne de mon roman avec en prime un sentiment vagabond qui oscillait entre la satisfaction d’être arrivé au bout et un début de mélancolie, car le point final du livre mettait un terme à la frénésie de l’écriture. Provisoirement en tout les cas… puisque j’ai maintenant entamé le deuxième.
Mais là, je n’ai pas encore vraiment répondu à la question… Entre ma vocation de pasteur et l’écriture, il y a effectivement un lien. Mais c’est un lien sur lequel je viens de mettre des mots en réfléchissant à la question posée. Ma vocation était liée à un intérêt pour l’être humain dans sa globalité. Son fonctionnement au niveau psychologique. Sa dimension spirituelle. Ses questions existentielles. Et cet intérêt, je le retrouve lorsque j’écris et que je crée mes personnages et les interactions entre eux.
2) Il y a beaucoup de références, dans votre livre, à d’autres polars, livres ou films. Quelles sont, dans le vaste monde du polar, vos inspirations ? et quels auteurs de polars aimez-vous lire ?
Au niveau cinématographique, mes références sont celles des années 80 qui ont bercé mon adolescence. À commencer par les séries telles Miami Vice, Starsky et Hutch, Rick Hunter ou Magnum. Sans oublier Columbo qui a toujours été un de mes personnages favoris.
Puis les séries allemandes que je regardais avec ma mère : Derrick, Der Alte ou encore Ein Fall für zwei.
Les années 80, c’est aussi Clint Eastwood dans son rôle de l’inspecteur Harry, L’arme fatale avec Mel Gibson, Le flic de Beverly Hills, la série des Piège de cristal avec Bruce Willis. Dans un autre style, Les Incorruptibles avec Kevin Costner, Witness avec Harrison Ford, Le Nom de la Rose avec Sean Connery et Mississipi Burning avec Gene Hackmann sont des films qui m’ont particulièrement marqué.
Dans un tout autre registre, je suis un fan absolu d’Alfred Hitchcock dont les films sont des chefs d’œuvre de suspense avec des acteurs sublimissimes comme Cary Grant, James Stewart et Grace Kelly.
Last but not least, James Bond ! Mon héros favori, sans aucun doute. Surtout celui incarné par Sean Connery. Pourquoi me demanderez-vous ? C’est un savoureux cocktail composé de contrées exotiques, de méchants diaboliques, de voitures prodigieuses, de cascades à couper le souffle mélangé à cette bonne vieille ironie britannique. Tout ça au shaker bien entendu, agité, mais pas secoué. Et puis l’homme. Il côtoie la mort au quotidien sans qu’elle l’effleure. Il vit le moment présent sans se soucier du passé ou de l’avenir. Il n’a pas d’attaches. Il sait faire la différence entre le bien et le mal, sans jamais se poser de questions. Il tue sans aucune émotion. C’est un séducteur à qui tout réussit et sur lequel l’âge n’a pas de prise. Euh… Mais pourquoi devrais-je me justifier ? J’adore James Bond. C’est tout !
Mais mon inspiration pour l’écriture me vient plus de la littérature. Bien qu’ayant toujours aimé lire, ma pratique de la lecture s’est intensifiée avec les années et je dévore les romans policiers les uns après les autres depuis une quinzaine d’années.
Je suis un accro aux polars du nord et en particulier aux auteurs suédois. Ce que j’aime dans un polar, c’est l’intrigue bien entendu, mais c’est aussi l’ambiance et le cadre dans lequel le récit s’incarne.
La petite ville d’Ystad au bord de la mer baltique avec son passé hanséatique, ses maisons à colombages et ses paysages vallonnés (Henning Mankell). Le village de pêcheurs de Fjällbacka et son archipel composé de nombreuses petites îles (Camilla Läckberg). Gotland, la perle de la Baltique, avec ses plages de sable ou de galets, avec ses « raukars » — sculptures calcaires – formées par la mer et les vents (Mari Jungstedt). À Kiruna où le soleil brille toute la nuit durant la période estivale et les tempêtes de neige qui font rage l’hiver (Åsa Larrson).
Le roman policier, souvent associé au monde urbain, s’exporte à la campagne. Les coups de feu deviennent rares. Parfois même les inspecteurs ne portent pas d’arme. L’action effrénée des policiers américains laisse la place à une certaine lenteur. Une apparente absence de rythme, qui laisse au lecteur le temps de s’imaginer le décor, d’apprendre à connaître les personnages. Mais c’est bien une apparence, car les intrigues nous entrainent dans un suspense psychologique intense renforcé par l’ambiance du décor.
Au-delà de l’action et de l’intrigue, le quotidien vient s’inviter au cœur de l’histoire. On suit ainsi les personnages dans ce qui pourrait sembler d’un ennui mortel, mais on apprend à les connaître et les questions existentielles qui les habitent. D’aller en profondeur. De s’imprégner de l’atmosphère.
Mais il y a aussi les romans du nord qui se passent dans la société urbaine et moderne avec leurs héros (ou anti-héros) — Harry Hole (Jo Nesbo) à Oslo, Michaël Blomqvist (Stig Larsson), Joona Linna (Lars Keppler) et Sébastian Bergman (Hjort-Rosenfeldt), tous trois basés à Stockholm – qui nous offrent des intrigues haletantes et nous plongent dans les côtés les moins lumineux de la société scandinave.
3) Pourquoi avoir choisi le paisible village montagnard de Gryon comme lieu du crime ?
Après notre retour du voyage, mon ami et moi sommes restés quelques mois à Gryon. L’idée c’est tout naturellement imposée à moi. Gryon était le parfait décor d’un polar : l’atmosphère singulière d’un petit village pittoresque, le savoir-vivre montagnard, l’ambiance chaleureuse des chalets, les différents lieux publics, la vie villageoise, le découpage impressionnant des massifs alentour, les hivers rugueux.
Gryon, un petit village de montagne sans histoires avec un peu plus de mille habitants. Une ambiance de huis clos où l’inspecteur a tout le monde sous la main. Ou presque… Le village est isolé, mais pas non plus hermétique. Ce qui laisse le jeu ouvert et offre des possibilités d’amener des éléments extérieurs.
Des familles qui y résident depuis de nombreuses générations et des résidents secondaires venus de plaine s’y côtoient. Un lieu où le monde rural se confronte à la modernité.
Un lieu où se racontent de nombreuses histoires et où de vieilles légendes font partie du conscient collectif.
Et puis le Fond-de-Ville, le cœur du village qui dégage une atmosphère toute particulière. C’est le lieu où se trouvent la grande fontaine – là où les femmes du village se réunissaient pour faire la lessive — et le temple tout en pierre – où tous les baptêmes, mariages et enterrements ont été célébrés — ou encore la salle de paroisse où les hommes se retrouvaient pour délibérer, ce carrefour qui a été le témoin de tous les actes fondateurs du village, cet endroit qui conserve précieusement tous les souvenirs de la communauté. Il suffit d’ouvrir les yeux et d’écouter. Ici, chaque pierre a quelque chose à raconter.
Gryon m’est donc apparu comme un cadre parfait pour accueillir un meurtrier de sang-froid.
Mais il fallait encore donner vie à un inspecteur de police.
Une sorte de Harry Hole tout à la fois solitaire, dépressif, alcoolique et attachant? Ou alors un Wallander mélancolique, décalé, maladroit et tout aussi attachant? Ou encore un Anders Knutas qui vit une vie de famille pépère sur une île suédoise?
C’est là qu’Andreas Auer est né dans mon esprit. Andreas est un épicurien bien dans sa peau (vraiment?). Il a grandi en ville et habite maintenant dans un village de montagne. Il est homosexuel et le vit bien. En couple avec Mikaël. Il ne s’est jamais posé de questions. Une vie toute tracée. Il s’intéresse à beaucoup de choses : psychologie, théologie, gastronomie, whisky, cigares. Mais sa plus grande passion est le comportement des tueurs en série. Il aime la démarche qui le conduit à essayer de pénétrer un esprit criminel et de comprendre ses motivations. Découvrir l’identité d’un meurtrier, tenter d’approcher son ombre, cerner son inconscient. L’ombre le fascine. Celle des meurtriers. La sienne, aussi.
Il s’engage à fond dans son métier (ou sa vocation ?) parfois jusqu’à l’obsession. Un homme à la personnalité complexe. Pour lui, il n’y a pas de blanc ou de noir. Que des nuances de gris… Mais à l’aube de ses 40 ans, des questions existentielles font surface…
4) Allons-nous retrouver les personnages principaux du Dragon du Muveran dans votre prochain roman ? L’action se déroulera-t-elle encore à Gryon ? Pouvez-vous nous faire quelques petites révélations sur son sujet ?
Oui. On y retrouvera Andreas et son équipe. Erica, la Pasteure va se retrouver devant un dilemme… Andreas, sera mis à l’écart de la nouvelle enquête. Va-t-il y rester ? Surprise… L’action démarre à Berlin, à l’opéra où les lecteurs rencontreront un nouveau personnage, mais je n’en dis pas plus…