Le monde numérique – Concours premiers écrits

Le monde numérique – Concours premiers écrits

Nouvelle inédite de Edwige Von Der Weid , lauréate du concours 2018 sur le thème du « Monde numérique » organisé par les Editions Plaisir de Lire avec le soutien de la CIIP.
Les 5 lauréats de ce concours ont suivi 3 ateliers d’écriture organisés par Mme Annik Mahaim.

Le monde numérique – Concours premiers écrits

Le monde numérique

« Si je devais répondre à la question, vivre avec ou sans internet, ma réponse fuserait sans la moindre hésitation : avec ! Les réseaux sociaux me permettent une identité moins timide que ma réelle nature. Dans mon quotidien, j’ai longtemps lutté contre ce que j’appelle « ma maladie. » Quelle plaie d’être aussi introverti. Seules les personnes ayant un physique quelconque comme le mien peuvent me comprendre. Je suis transparent. Mon visage est étroit, je porte de petites lunettes rondes sur un long nez, mes cheveux bouclés sont ternes. Rien de sexy, je suis d’une banalité à pleurer. Par fierté, je ne me suis jamais plaint de mes traits. Mon cerveau d’intellectuel compense, de mon point de vue, le peu d’attrait que je provoque.

Si les femmes ne me regardent pas, c’est qu’elles n’en valent pas la peine. Pourquoi choisir un étalon infidèle plutôt qu’un chic type ? Un jour viendra où soit je rencontrerai LA femme de ma vie, ou soit mon physique s’arrangera. Prenons un exemple concret, Tom Cruise s’est amélioré avec l’âge. C’est également le cas de l’acteur Ryan Seacrest. Grâce à Facebook, je me cache derrière des paysages sublimes, aucun portrait ne figure sur mon profil et je communique chaque jour avec des jeunes de tous les pays francophones, ce qui n’est pas rien pour se sentir entouré.

Avant internet, je souffrais de solitude. Les quelques copains que je fréquentais étaient du même genre que moi. Comme si nous portions en permanence une verrue au milieu du front. Imaginez-vous être perçu comme repoussant, si c’est passager, c’est supportable mais quand hier, aujourd’hui ou demain sont pareils, c’est lassant. Vous pouvez me croire. Pour remédier à mon mal-être, j’ai cessé de lutter pour me faire accepter. J’y mettais tant d’énergie, qu’à force je me serais perdu. A présent, je me soucie moins du regard indifférent ou de dégoût des autres et je me porte beaucoup mieux. Les sorties avec les amis étant rares, je n’ai plus de frontière entre mes heures de travail et mes multiples intérêts sur le net. Ma confiance en moi a grandi grâce à mes compétences professionnelles. Sans vouloir être prétentieux, je suis un as en informatique. »

– Lucien, tout d’abord je tiens à vous féliciter d’être revenu. Vous semblez à l’aise ce matin, j’en suis ravie.

– Madame, j’ai compris que rester silencieux en face de vous est une perte de temps pour chacun.

– Je suis enchantée par votre prise de conscience. Vous permettez que je vous pose quelques questions ?

– Oui mais répartissons-les sur plusieurs séances.

– Vous êtes donc disposé à poursuivre nos entretiens.

– Tout à fait ! Maintenant que j’ai sauté le pas, le plus dur est passé.

– Quand avez-vous parlé avec un ami la dernière fois ?

– Hier soir !

– Ah, très bien. Une conversation échangée lors d’un tête-à-tête ?

– Oui comme chaque fois. Vous vous en doutez, un écran nous séparait.

– Vous voulez dire que vous étiez sur Skype ?

– Non, on s’écrivait sur « Messenger. »

– Donnez-moi quelques précisions.

– Je ne tiens pas à vous répéter ce que nous nous racontions.

– Je comprends Lucien, c’est votre droit.

– Madame, j’estime que vous en savez assez pour le moment, j’aimerais en rester là pour aujourd’hui.

– Entendu.

Je me lève, tends la main à ma psy, la regarde à peine et sors en passant devant le bureau de la secrétaire, la tête baissée.  Soulagé de rentrer chez moi, je descends les escaliers à toute vitesse.

Quelque peu déstabilisé de m’être confié profondément, je réalise qu’être écouté sans jugement est réconfortant. Je n’ai pas l’habitude de me livrer et encore moins de face. Fier de moi, je me débouche une Heineken dans ma cuisine et la bois en me déplaçant vers mon séjour. Un regard sur mon vieux sofa me confirme que je devrais envisager de le remplacer. Comme je gagne bien ma vie, je pourrais sans problème changer la plupart de mes meubles, achetés à la même personne. Lorsque je finissais mes études, c’était nécessaire de bénéficier d’un prix avantageux.

Salarié dans une société renommée, je suis très indépendant et n’ai de compte à rendre à personne. Dès mes débuts, j’ai fait preuve d’initiative et excelle dans chacune des tâches accomplies. Mon chef me surnomme « notre génie. » Je m’en accommode même si je préfère n’entendre mon surnom que lorsque nous sommes seuls à fumer nos clopes après le déjeuner. L’ambiance au travail est décontractée, je ne prends qu’une petite pause, non seulement pour éviter mes collègues que je juge peu intéressants, mais aussi pour aller nager. Je m’autodiscipline dans cette saine activité, mon espoir est de développer mes épaules. Pour le moment je ne remarque aucun changement mais persévère.

Ma bière finie, je jette la bouteille dans mon débarras, m’allume une cigarette et m’installe à mon bureau. Par habitude, je sais qui je retrouve en ligne entre la fin de journée, le début de la soirée et même la nuit. Les quelques camarades passant autant de temps que moi sur internet sont mes rivaux dans certains jeux, ce qui ne nous empêche pas de nous appeler avec humour « les indécrottables. »

Approchant la trentaine, je tente de me persuader que je ne suis pas en train de passer à côté de ma vie en restant connecté plutôt que bavarder dans un café avec un ami ou de danser avec une brune. Je me lance des défis raisonnables, mais rien que de songer à ma première tentative, j’en ai des sueurs froides. J’avais mis une annonce où je me proposais en tant que prof de mathématiques pour des collégiens. Une jeune fille m’avait appelé et demandé si le cours pourrait être suivi par son frère jumeau et elle. J’avais accepté et le moment venu, la demoiselle était arrivée seule, avouant que son frangin avait changé d’avis.

Cette fille était si belle que je bafouillais et perdais mes moyens tant elle me plaisait. L’étudiante avait surpris mon regard sur son décolleté après deux minutes de cours. Elle avait fait comme si de rien n’était puis avait prétendu avoir une migraine pour écourter la leçon. Cette élève ne m’avait plus recontacté. Gêné par mon attitude, je n’en avais pas dormi de la nuit et regrettais une nouvelle fois mon physique ingrat.

Après ce malheureux épisode, je ne répondais plus aux inconnus qui m’appelaient. Je ne voulais pas prendre le risque de vivre un second échec auprès de la jeunesse. Téméraire, je m’imposais durant un mois de petites corvées. Un jour sur deux, je devais me rendre dans une épicerie ou une boulangerie et entamer une discussion que j’enregistrais à l’aide de mon portable. Si je jugeais notre échange trop court, je recommencerais le lendemain, soit vingt-quatre heures plus tôt que prévu. Pour bénéficier d’un jour de pause, je m’armais de ma meilleure volonté. Si le personnel souriait ou rigolait à mes commentaires, je le considérais comme un bonus et me donnais deux jours de congé. L’inconvénient de reporter cet exercice était que je rougissais à nouveau, même si je parlais avec des femmes entre deux âges. Cette catégorie de dames me regardait comme si mon apparence était habituelle. En leur présence, je ne me considérais plus comme moche. Mes relations étaient et sont encore professionnelles et superficielles.  Quant à mes proches, ce sont en réalité des connaissances virtuelles.

Aujourd’hui, je m’octroie une partie en ligne pour me détendre. Avant de jouer, je me fixe des objectifs. Ambitieux au quotidien, je cherche à gravir les échelons, pour me prouver que je suis le meilleur ou sur le point de le devenir. Chaque jeu, chaque projet est une occasion de montrer de quoi je suis capable.

La préférence de mes parents pour mon frère a sans doute contribué à ce que je me surpasse dans tous les domaines. Mon défunt frère semble avoir emporté avec lui nos parents qui ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes depuis son décès. C’est comme si je les avais perdus tous les trois. Au début, je leur rendais souvent visite puis je me suis lassé d’entendre mon père et ma mère ne parler que de Rémy. Ni l’un ni l’autre ne m’interrogeaient sur ma propre vie ou n’exprimaient le plaisir de me voir. Agacé de rester l’éternel second fils, j’ai espacé mes visites et les ai remplacées par des appels. Impuissant à les consoler, j’ai imaginé que mes parents auraient préféré que la mort ne leur enlève pas leur fils favori mais plutôt celui qui n’avait jamais trouvé sa place au sein de leur famille.

Le téléphone sonne.

Je suis concentré, je me confronte à un adversaire redoutable et cherche à l’éliminer en répondant plus vite que lui à de savants calculs. Irrité par la présence sonore du téléphone, je me fais devancer par mon rival. Furieux que cette seconde d’égarement me fasse perdre la première place convoitée. Je me lève de ma chaise en la laissant tomber. Puis un lourd silence s’impose. Une cigarette m’est nécessaire pour calmer mes nerfs. Je cherche mon paquet dans tous les tiroirs de chaque pièce, même dans ma table de nuit mais ne le trouve pas.

Le téléphone sonne.

A contrecoeur, je réponds pour éviter d’être dérangé plus longtemps.

La voix chaude de mon cousin m’apaise aussitôt. En raccrochant, j’attrape ma veste en cuir noir, claque la porte de l’entrée et pars en courant.

Dès mon arrivée dans le bar à quelques minutes à pied de chez moi, je commande une pression et regarde la clientèle. Je me moque de moi-même en pensant que grâce à la visite  d’Hubert, je sors dans mon quartier la nuit. La sensation d’être un touriste dans ma propre ville que je ne connais que le jour est une impression curieuse.

– Salut cousin !

– Salut « couz ! »

En signe de retrouvailles, nous nous donnons mutuellement une tape sur l’épaule avant de nous asseoir au milieu du café.

– Tu as bien fait de m’appeler, je suis content de te voir.

– Et tu me remercieras davantage tout à l’heure.

– Ah oui, pourquoi ?

– Nous poursuivrons la soirée à quatre.

– A en croire ton sourire, tu as rendez-vous avec ton ex.

– Eh oui, si je suis de passage, je t’appelle toi en premier puis Agatha pour finir la nuit.

L’écouter se plaindre de ses derniers mecs ne m’intéresse pas, la culbuter beaucoup plus. Nous n’avons aucun avenir possible ensemble. Je ne cherche qu’un plan « cul. »

– Et j’imagine que tu lui as précisé de venir avec une copine célibataire ?

– Exactement ! Tu ne perdras pas ta nuit non plus.

J’espère que les prévisions d’Hubert soient bonnes mais ne lui fais pas part de mes doutes. A la place, j’ajoute :

– Que fais-tu à Vevey ?

– Je dois rencontrer mon dernier employeur et m’arranger avec lui pour un nouveau certificat de travail.

Le serveur passe à proximité, je lui fais signe et demande en gesticulant deux bières.

– Tu es en recherche d’emploi ?

– Le poste que j’occupe va me rendre cinglé, c’est en dessous de mes compétences, révèle Hubert en me fixant.

– Si mes souvenirs sont bons, tu as quitté cette branche pour t’ouvrir à de nouveaux horizons.

– Comme d’hab, ta mémoire est infaillible ! Et toi alors, quand seras-tu ton propre patron ?

– C’est trop tôt.

– Ne joue pas les modestes. Pourquoi tu n’envoies pas tout péter ?

Le garçon dépose nos boissons sur notre table et retourne au bar où d’autres clients patientent.

– J’ai le temps pour monter ma société.

– « Couz », dois-je te rappeler que ton grand frère est mort subitement ?

– Hubert, jamais je n’oublierai, mais l’existence ne m’a pas fait de cadeau jusque-là.  Moi je suis là et je compte montrer à la terre entière que même sans un physique de comédien, on peut devenir son propre chef grâce à ses aptitudes.

– J’admire ton ambition ! D’ailleurs tu m’impressionnes depuis ton plus jeune âge. Quant à Rémy, c’était peut-être un beau gosse mais il était quelque peu naïf, immature.

– Mon frère était un chic gars, il me manque. Bref, raconte-moi plutôt tes occupations à Annecy. Tu t’y plais ?

– De moins en moins. Aussitôt installé, j’ai cru que j’y resterais longtemps.

– Ah bon, que s’est-il passé ?

– Les fins de journées en mai, avec les collègues on profitait des joies du lac et chaque jour je découvrais un nouvel endroit, de jolies terrasses pleines de monde. Les femmes et leurs jambes nues. Un échange de regard à tous les coins de rues. C’était fantastique, je me croyais en vacances. Dès que le mois d’octobre a commencé, l’animation a chuté. La ville et ses habitants ont commencé à porter un masque, mes joyeux copains ont fini par me transmettre leur mélancolie. Comme s’ils hibernaient en attendant le retour des beaux jours. Tu te rends compte, tu t’éclates comme si tu avais toujours vingt ans et du jour au lendemain, tu t’enterres chez toi, seul, abandonné.

Je me dis « Au moins toi, tu as une vie exaltante de mai à septembre, presque la moitié de l’année. Si tu savais, tu n’oserais pas te plaindre auprès de moi. J’échangerais volontiers ma tête et ma vie monotone contre tes regrets. »

Hubert s’étonne de mon silence et propose de bouger.

– J’ai faim. Un bon burger te tente ?

– Oui on a assez traîné ici. Allons-y.

Nous quittons le bar. Hubert sort son paquet de cigarettes, m’en propose une. Nous nous dirigeons en fumant vers le restaurant. Durant le trajet, Hubert reçoit l’appel d’Agatha qui propose de nous rejoindre une heure plus tôt que prévu. Il raccroche et rigole.

– Elle est pressée de te revoir ?

– A vrai dire, autant que moi, on s’entend si bien au pieu, dommage qu’il en soit autrement question caractère.

Envieux, je songe « J’aimerais moi aussi être désiré par une jolie femme… ! »

– Et sa copine, c’est qui ?

– J’en sais rien, de toute façon elles sont toutes baisables, fais pas ton difficile. Tu fréquentes quelqu’un en ce moment ?

– Non.

Silencieux, je jette mon mégot à proximité du restaurant avant d’y entrer. A peine assis, un type de grande taille et aux larges épaules reconnaît Hubert. Il quitte sa table et s’approche de nous.

– Non, c’est toi Jules ?

– Hubert, je croyais que tu avais quitté le pays !

– Oui, mais pas bien loin, je vis à Annecy. Je te présente Lucien, mon cousin. Vous vous connaissez peut-être ?

– Non, répond-il avant moi, en me dévisageant froidement.

– Que fout LE playboy de ces dames seul ce soir ? se moque mon cousin.

– Je sors d’une rupture, j’ai besoin de me vider la tête. Tu vois le genre ? répond Jules.

– Tout à fait l’ami ! Mange avec nous ! propose mon cousin à mon grand regret.

Je devine déjà la suite des événements. La copine posera ses yeux doux sur ce bellâtre et je me retrouverai spectateur plutôt qu’acteur de cette soirée. Mon cousin et Jules discutent sans tenir compte de ma présence effacée. Je regarde la carte des menus tout en m’efforçant de ne pas anticiper et de laisser les choses se faire.

Dix minutes s’écoulent avant que mes idées sombres ne prennent le dessus. La serveuse vient prendre notre commande en montrant son intérêt pour Jules. Une admiratrice est née sous mon regard envieux. La jeune femme est tout à fait à mon goût, mais c’est Jules qui lui a tapé dans l’œil. Contrarié par l’attitude de la serveuse et de la complicité des deux autres hommes, je me lève en précisant que je sors acheter des cigarettes. Ils confirment m’avoir entendu par un bref coup d’œil puis reprennent leur discussion.

Nerveux, je sens monter une colère démesurée envers Hubert. Quand mon cousin écoute son ami, il boit ses paroles. Je rêverais qu’on me prête une oreille aussi attentive.

Est-ce dû à ma diction, à mon physique quelconque ? Et Jules qui gémit parce que sa nana l’a quitté alors qu’il s’envoyait en l’air avec une autre. Que dois-je faire ? Si je m’exprime, ce sera pour le traiter d’enfoiré, sa compagne a eu le cran de partir, elle ne mérite pas un type pareil mais du respect. Il vaut mieux qu’il cesse de râler, sinon je risque de lui balancer ses quatre vérités. Hubert sera gêné et la soirée gâchée.

Je fais les cent pas en priant pour qu’ils aient changé de conversation à mon retour. Je jette mon mégot, expire profondément trois fois et fais mon entrée dans de meilleures dispositions. Je me rassieds, surpris de voir Jules quitter notre table pour le calme de la rue. Aussitôt, Hubert me raconte que Jules a loupé le téléphone de sa copine et qu’il est sorti l’appeler.

La jolie serveuse nous amène nos assiettes et cherche manifestement le contact avec nous, en attendant le retour de son coup de cœur. Amusés par son manège, mon cousin et moi jouons le jeu. Comme l’absence de Don Juan se prolonge, elle s’éloigne. Je me demande si Jules arrivera seul ou avec les femmes.

Sur le point de finir sa dernière bouchée, Hubert guette le retour de son ami. Je regrette que notre chemin ait croisé celui du « tombeur », car la soirée prend une tournure différente de celle imaginée. Je tiens cet inconnu pour responsable. C’est comme si c’était couru d’avance. J’en suis là dans mes pensées quand mon cousin affirme gaiement :

– Ah te voilà enfin, tu as pu lui parler ? C’est sûr, ta copine est mordue. Quel effet tu provoques sur les femmes, tu devrais nous donner des cours, hein Lucien ? suggère Hubert d’un rire exagéré.

– Ouaip, je ronchonne.

– Je les attire mais après je ne sais pas m’en défaire. Comment n’aimer qu’une femme à la fois ?

– Je n’ai pas encore trouvé la réponse, ricane Hubert.

Je rêve de partir et d’être seul dans mon appartement, mais je ne bouge pas. Mon cousin ne comprendrait pas mon départ précipité et ne m’appellerait pas lors de son prochain passage.

Agatha et sa copine arrivent souriantes à notre table. Quand Hubert, Jules et moi nous levons pour les saluer, Jules s’étonne de reconnaître Agatha accompagnée d’une de ses anciennes conquêtes. Le regard complice qu’échangent les anciens amants ne m’échappe pas. Je regrette que mon intuition ait été aussi fiable et perds tout espoir de plaire à l’amie d’Agatha.Le groupe s’assied et les premières blagues d’Hubert apportent un peu de légèreté. Je l’écoute d’une oreille distraite puis je me lève pour cacher mon ennui. Une fois dehors, je tire nerveusement sur ma cigarette. Avant de les rejoindre, je commande une bouteille de blanc.

A mon retour, les plaisanteries ont cessé et une discussion anime leurs échanges. Les filles expliquent qu’en tant que dévoreuses de fiction, elles préfèrent tourner les pages d’un livre qu’une lecture sur tablette. Hubert et Jules avancent des arguments pour démontrer le côté aussi pratique qu’économique de la lecture sur un écran. Les nanas les écoutent avec intérêt mais chacun garde son point de vue inchangé.

La serveuse surgit avec la bouteille que je leur offre. Je vais boire pour oublier. A force de regarder Jules, elle va finir par verser à côté des verres. Ce que je m’ennuie lorsque Hubert fait les éloges du groupe qu’ils iront écouter. C’est sûr, je ne m’éterniserai pas avec eux, surtout en voyant Jules caresser les cheveux de sa voisine, je ne risque pas de me détendre ce soir.

Une heure plus tard, nous sortons enfin du restaurant. Je m’arrête devant l’entrée et m’allume une clope. Agatha et Hubert m’en réclament une. Pendant ce temps-là, Jules et son ancienne conquête flirtent, comme s’ils ne s’étaient jamais quittés. Je les observe, mécontent. Je jette un coup d’œil à ma montre et annonce à la ronde que je pars me coucher. Personne ne cherche à me retenir, je les salue et m’éloigne avec soulagement. Au moment de changer de trottoir, je tourne la tête, observe le groupe, séparé en deux couples qui se déplacent dans des directions opposées. Contrarié de finir la nuit seul, j’enchaîne les cigarettes jusqu’à mon arrivée à l’appartement.

Le lendemain matin, je compose le numéro de ma psy. Le téléphone sonne. Au moment où la secrétaire répond, paniqué je raccroche. Confus d’avoir perdu mes moyens, je râle sur mon incapacité à arranger mon mal-être. Au fond de moi, je sais que je peux vivre sans les autres, mais j’ai peur de perdre le contrôle. Mon intérêt pour le monde numérique ne cesse d’évoluer. Ma soif de découverte est infinie. Conscient de me sentir épanoui uniquement derrière mon ordinateur, j’angoisse toujours autant à la perspective de discuter avec des étrangers. Tôt ou tard, je serai amené à bavarder avec d’autres gens que mon responsable. Je ne tiens pas à bafouiller dès les premiers mots prononcés devant une personne inconnue ou un collègue dont je ne connais que le nom ou la voix.

En regardant le combiné, je me dis, c’est trop tôt, je prendrai rendez-vous dans la semaine. Peu convaincu de bien agir, je saisis malgré tout ma veste dans la cuisine et sors de chez moi. Durant mon trajet, je chemine en évitant de croiser le regard de qui que ce soit. Après les contrariétés de la veille, je suis encore moins disposé que d’habitude à renseigner un touriste. Un homme d’un âge avancé s’oriente vers moi.  D’une voix fébrile, il me demande comment se rendre au commissariat de police le plus proche et ajoute :

– Vous vous rendez compte Monsieur, deux voyous m’ont volé ma sacoche à la sortie du train. Seriez-vous d’accord de m’accompagner ? Je suis perdu.

Ce vieil homme me fait de la peine. Je le conduis au bord du lac où est situé le commissariat de police. L’individu reprend la parole :

– Ce midi j’ai rendez-vous en ville avec Henri, mon petit-fils. Il doit avoir votre âge.

– Rassurez-vous, il n’est que 9 h, vous y serez sans problème.

– Oui, je n’en doute pas. Ces crapules ont emporté avec eux le portable qu’Henri vient de s’offrir. Il l’a oublié chez moi et s’accorde une pause-déjeuner pour le récupérer, il sera déçu.

– Je suppose qu’il sera surtout rassuré qu’il ne vous soit rien arrivé.

– Vous êtes gentil de me dire cela. Votre nom ?

– Lucien.

– Ce dernier modèle est devenu une prolongation de sa main. Henri va être très contrarié. Merci de m’escorter, je ne bouleverse pas votre programme j’espère ?

– Ne vous inquiétez pas.

– Votre femme et vos enfants savent que vous êtes un chic type ?

– Pourquoi dites-vous cela ?

– Vous auriez pu m’envoyer balader ou me mettre dans un taxi. Et sans me connaître, vous changez vos plans pour me conduire là-bas. Alors moi ce que j’en dis, c’est que vous méritez d’avoir une épouse aimante.

Je n’en crois pas mes oreilles et reste silencieux. Le papi s’arrête pour reprendre son souffle.

– Nous y serons dans moins de deux minutes. Vous vous sentez bien ?

– Oui mon garçon. Vous semblez plus attentif aux autres qu’Henri. J’ai dû l’implorer pour qu’il daigne me rendre visite. Notre souper était agréable, mais ensuite j’aurais aimé refaire le monde avec lui devant un feu de cheminée plutôt que le voir occupé avec son fichu téléphone. Je dois être trop vieux pour comprendre la jeunesse. Soyez sûr que je ne regrette pas la mienne et ne la changerais pas contre la vôtre !

Je l’écoute sans rien répondre et songe à ma propre existence.

– Vous n’êtes pas bien bavard mon garçon.

– Voilà, nous y sommes. Voulez-vous que je vous attende ?

– Ah quel brave homme vous êtes ! Je ne voudrais pas vous déranger davantage ! En remerciement, écoutez plutôt mes quelques recommandations :

Aimez votre femme ou votre amie sans retenue. Profitez de la vie. A mon âge, ce n’est plus pareil, j’attends que Dieu se décide à m’appeler. Vivez, je vous le répète Lucien, jouissez des petits plaisirs de la vie auprès de vos enfants. Tirez parti de chaque expérience qui s’offre à vous. Votre présence et votre aide m’ont réconforté, sachez-le.

– Au revoir monsieur et soyez prudent.

– Au revoir mon garçon, rétorque-t-il d’un sourire chaleureux.

Je suis troublé de la reconnaissance de cet étranger que j’ai amené sans me soucier d’arriver en retard à mon travail. Bouleversé par cette rencontre, je m’éloigne. J’avance doucement, comme si chaque mot entendu correspondait à un pas et faisait écho dans mon esprit. Le vide infligé par l’absence de cet inconnu me saisit telle une vague sur une mer plate.

Perturbé d’effectuer seul le trajet en sens inverse, alors que quelques minutes auparavant nous étions deux à marcher sur ce même trottoir, je regrette d’affronter ma solitude. Durant cet intervalle, j’étais perçu comme n’importe quel individu sur cette terre. Le bien que ça m’a fait d’être considéré identique aux autres ! En peu de temps l’inconnu m’a complimenté, s’est adressé à moi comme si j’étais le mari d’une femme, le père de plusieurs enfants. Submergé d’émotion, je m’immobilise au milieu du bitume. Les passants doivent me contourner pour ne pas me bousculer. Si ce papi se présentait à l’instant devant moi, je me blottirais dans ses bras, pleurerais comme un bambin qui a perdu son doudou.

–  J’entends de loin : « Cessez de rêver, retournez-vous coucher ».

Dérangé par des frôlements d’épaules, je rouvre les yeux. « Quelle agression de me retrouver aussi près des gens ». Je suis confus de mon égarement puis je vérifie l’heure à ma montre, grimace et traverse la route,  accélère le rythme de mes pas pour rentrer chez moi. Tant pis pour le travail. Je claque ma porte d’entrée, allume mon ordinateur et préviens mon responsable que je suis malade. Nerveux de me cacher derrière un mensonge, je sors sur mon balcon, une clope à la main et songe à Henri et à son grand-père. Il m’a fait de la peine quand il révélait sa frustration dans leur relation. N’aurais-je pas agi comme son petit-fils ? A la sortie d’un repas en tête-à-tête, privilégier mon portable plutôt qu’une discussion avec mon pépé ? J’aimerais penser que non, mais je sais qu’il n’en est rien. Pauvre homme, il mérite d’être écouté ! Il doit avoir tellement d’histoires à raconter !

Cet échange avec cet inconnu a été une révélation. Je quitte mon balcon, m’assieds devant mon PC et effectue une recherche. La solution est sur le point de m’être transmise. Je veux donner de mon temps à des personnes âgées. Après mes traversées dans le bassin olympique ou mon travail, je rendrai visite à des gens du troisième âge. La solitude de ces individus comme de la mienne sera remplacée par le plaisir d’échanger des points de vue.

Mon humeur maussade évolue en humeur joyeuse alors que je m’inscris sur deux sites en ligne. Fier du changement à venir, je me récompense en jouant. Autant profiter de mon « congé maladie »… Sait-on jamais, peut-être que je serai si occupé avec mes grands-parents de substitution que je manquerai de temps pour jouer. En attendant, je me fais plaisir. Une heure plus tard, je change de jeu et retrouve un habitué, un concurrent.

Une seconde heure passe comme un claquement de doigts.

Mon repas mangé sur le pouce, je retourne devant mon ordinateur et lis la liste que je tiens à jour. A la suite d’un incroyable duel, l’idée de créer un jeu m’avait saisi comme une évidence. Pour concrétiser mon ambitieux projet, je m’étais inspiré des divertissements les plus populaires et les avais classés par thème. Dans un premier temps, j’avais répertorié les meilleures épreuves à accomplir. Pour le moment, je progresse avec excitation dans mes plans. Avant d’atteindre mon objectif, la réalisation de mon jeu, j’y consacrerai de nombreuses soirées…

Le lendemain je me réveille aux aurores pour aller travailler. Durant mon trajet, j’ai une pensée pour le grand-père rencontré la veille et me demande quand commenceront les visites à ces personnes isolées. Sans regarder autour de moi, je traverse le passage pour piétons et me fais klaxonner. Le conducteur mécontent freine en urgence et râle. Je tremble de tous mes membres et reprends subitement contact avec la réalité, marcher jusqu’à mon bureau.

Comme prévu nul n’est présent, il n’est que sept heures. Je me plonge dans mon travail, avec un café à la main. Trois heures s’écoulent lorsque je m’accorde une pause, la lecture des blogs des adeptes de jeux. Grâce à cette exploration, une idée me traverse l’esprit, je la note avec satisfaction sur un morceau de papier.

En fin de matinée, mon patron frappe à ma porte. Intrigué, je me lève et découvre mon boss en train de ranger son portable dans sa poche.

– Mon génie, donne-moi cinq minutes de ton temps, me prévient-il.

– Oui, bien sûr.

– Tu vas me servir, ou plutôt à la compagnie, de carte de visite.

– Que dois-je comprendre ?

– Je t’envoie dans un congrès pour présenter notre dernier programme.

– Comment ça se fait ?

– Monsieur Gy a été licencié. D’ici que nous trouvions un remplaçant le congrès aura fermé ses portes. Tu es le seul capable de nous représenter.

– Pour une surprise !

– Oui, j’imagine. En plus tu auras la fin du congrès pour rencontrer nos partenaires et nos concurrents. C’est une belle opportunité Lucien.

– Quand a lieu la présentation ?

– Dans une semaine, jour pour jour.

– Ah déjà !

– Je suis persuadé que tu n’as pas grand-chose à préparer, tu connais ton sujet sur le bout des doigts.

– Tu réalises que je n’en ai pas l’habitude ?

– Peut-être, mais tu es brillant. De toute façon, je ne te donne pas le choix. C’est une occasion rêvée de prolonger ton séjour pour prendre du bon temps. Dans ma précipitation, j’ai omis de te préciser la destination. Il s’agit de Monaco, conclut-il l’air complice.

– Dois-je te remettre ma présentation pour vendredi ?

– Evidemment. A plus tard.

Après le départ de mon chef, je me prends la tête entre les mains. Abattu, j’appelle la secrétaire de ma psy. En raccrochant quelques instants plus tard, je suis soulagé de pouvoir la consulter l’après-midi même, par chance un patient vient d’annuler son rendez-vous.

Je me motive à faire abstraction de l’imprévu qui me tombe dessus et assurer dans mon travail. A maintes reprises je m’interromps, me déplace de long en large dans mon bureau. Incapable de m’imaginer donner une présentation devant une salle comble, j’avance ma pause. En revenant de mon déjeuner, je m’applique à me concentrer. Efficace pendant une demi-heure, je suis à nouveau perturbé la demi-heure suivante.  Quelques heures plus tard ma journée prend fin et je me rends avec enthousiasme chez ma psy.

D’emblée, elle me complimente d’avoir cherché à la revoir si vite après notre récent entretien. Misen confiance, je lui fais part de la demande de mon chef. La psy m’écoute, griffonne, m’encourage à minimiser l’épreuve. A la fin de l’entrevue, elle me propose de revenir la veille de mon départ pour Monaco. Je quitte les lieux avec un nouveau rendez-vous, le poids sur mes épaules a diminué. Contrairement à mon habitude, je m’offre une bière dans le coin pour me féliciter d’avoir consulté.

Le soir, j’exécute une tâche réclamée par ma psy. A la fin des mots rédigés sur papier, je sens une amélioration de ma confiance en moi. Dans les probables moments de doute à venir, je les relirai. Je plie le papier et le mets en évidence sur la table de ma cuisine, ce sera le moyen le plus efficace d’en prendre connaissance.

Les jours qui suivent défilent à une vitesse folle. La responsable de l’agence qui gère les bénévoles intéressés à rendre visite à des personnes âgées me propose une rencontre, mais pas avant un mois. Je suis satisfait d’avoir été accepté. Grâce au congrès, je serai plus à l’aise lors de notre tête-à-tête.

Pendant mon temps libre à Monaco, j’observerai les activités réalisées par la concurrence, saisirai l’opportunité de créer des contacts qui me seront utiles pour la sortie de mon jeu. Mes soirées sont synonymes de travail, chaque élément a son importance. Je veux devenir LA référence, qu’on se souvienne de moi. La lecture quotidienne des mots suggérés par ma psy contribue à avancer sereinement. Je suis à deux doigts d’annuler notre ultime rendez-vous, quand je réalise qu’entendre ses encouragements me sera bénéfique comme un dernier coup de pouce.

Mon chef me rend mes papiers avec un sourire d’approbation, suivi d’éloges sur la pertinence des « slides » choisis. Je quitte son bureau après avoir reçu une tape sur l’épaule, témoignage de reconnaissance de mon mentor.

La psy m’accueille en personne, sa secrétaire étant absente. La séance me permet de recevoir de nouveaux conseils pour atteindre mon objectif sans difficulté. Satisfait par l’entretien, je m’arrête en chemin et consomme une bière dans un bar puis soupe dans le restaurant d’à côté. A une table voisine, une jolie femme seule me regarde avec insistance. Elle me plaît. Je suis intrigué par son intérêt, puis imagine qu’elle doit me confondre avec quelqu’un d’autre. Je renonce à l’aborder. Au moment où je sors du restaurant, la demoiselle me sourit. Je lui rends son sourire …

Je ferme la porte de mon appartement, descends les escaliers et entre dans le taxi qui patiente devant l’entrée. Je me sens chanceux de quitter la pluie pour un temps plus clément. Durant le trajet pour l’aéroport, je sors le prospectus de l’hôtel rangé dans ma mallette et imagine comment utiliser mon temps libre. Mon portable sonne, c’est mon cousin. Je choisis de ne pas y répondre, ma tête est déjà à Monaco et je n’ai aucune envie d’entendre parler du tombeur de ces dames. A mon arrivée à Genève, je constate que mon vol partira à l’heure. Cela fait longtemps que je n’ai pas voyagé. Découvrir une ville, visiter un musée ou rire au théâtre me plairait, à condition de le vivre à deux voire en groupe. Je m’étonne moi-même de rentrer quelques jours après le congrès. Qui sait ? Mes vacances pourraient me faire du bien ?

A mon arrivée, je dépose ma valise dans ma chambre puis me tiens sur le balcon. La vue sur la mer me procure du plaisir. Un coup d’œil à ma montre me confirme que je peux faire le tour des lieux avant ma présentation au rez inférieur. Je mets mon badge, me murmure quelques conseils et ferme la porte derrière moi.  J’avance, observe les comptoirs et repère ceux que je visiterai. Un bruit de fond règne autour de moi. A ma grande surprise, je suis confiant et même un début d’excitation me gagne. Ce n’est pas tous les jours que je me mets en danger en m’exposant à des clients. Ma mission est d’informer et donner envie à chacun d’acheter notre programme. Je m’arrête à un stand, accepte le verre d’eau qui m’est offert et échange quelques mots. Une marée humaine sort de la salle. Je comprends que l’heure a sonné. Mes battements de cœur s’accélèrent. D’un pas pressé, je me dirige vers la pièce.

Une jeune femme vient à ma rencontre, se présente « Dune » et m’adresse un sourire avenant. Nous discutons quelques minutes avant qu’elle ne prenne place au premier rang en attendant que les intéressés s’installent. La salle est immense, je m’efforce de ne pas en tenir compte et me répète les mots de ma psy. Pour calmer ma nervosité, je tourne le dos à la foule, me mets devant la fenêtre, ferme les yeux et me stimule. Un brutal silence interrompt ma dispersion. Je m’oriente vers le public. Dune m’invite du regard à patienter un instant et annonce ma venue.

A la fin des applaudissements, je la rejoins, me rapproche de la table, attrape le micro. Je prononce un premier mot d’une voix chevrotante, croise le regard bienveillant de la jeune femme, prends de l’assurance l’instant suivant. Pour captiver mon auditoire, je donne de nombreux exemples et plaisante de temps à autre. Le public est suspendu à mes lèvres, conscient de la maîtrise de mon sujet. Arrive le moment des questions, sans surprise, je réponds avec aisance. Dune se lève de sa chaise et regagne le devant de la scène à mes côtés. Elle me remercie pour ma présence et m’ovationne, la foule se joint à elle. Je me sens pousser des ailes et me retiens d’embrasser Dune.

De nombreuses personnes passent me saluer et me féliciter avant de sortir. Je rassemble mes affaires alors que Dune, intimidée par ma prestation, cherche ses mots pour me témoigner son engouement. Je m’en rends compte et m’en amuse. Je feins de partir, elle me suit en silence. Je reviens sur mes pas, elle s’immobilise, rougit et déclare :

– Vous avez fait fort, je n’ai jamais vu un public aussi captivé et croyez-moi, j’en ai vu des présentations. Vous étiez si à l’aise, vous êtes fait pour cela, mais bien sûr je ne vous apprends rien.

– Détrompez-vous, j’étais mort de trouille en y pensant il y a une semaine.

– Non, ce n’est pas possible, vous vous moquez de moi.

– Je n’oserais pas.

– Eh bien, je penserai à votre exemple le jour où mon tour viendra.

– Vous exagérez, Dune.

– Oh non ! Cherchez-vous une stagiaire ?

– Je peux me renseigner.

– Tenez, prenez ma carte et donnez-moi vite de vos nouvelles.

– Je viens d’arriver, je reste ici quelques jours, nous pourrions prendre le temps d’e reparler.

– Oh oui, ce serait parfait, monsieur Gime.

– Appelez-moi Lucien. A plus tard, Dune.

– J’espère à très vite.

Je conclus notre échange par un sourire jovial. Enchanté de ma présentation comme de notre rencontre, je me sens métamorphosé. Avec regret, je quitte la pièce pour faire le tour des stands et discuter avec la majorité de mes partenaires ou concurrents.

A la réception,  je croise à nouveau Dune.

– Lucien, regardez j’ai reçu cette bouteille de champagne par erreur, elle vous est destinée.

– Ah oui ?

– J’ai aussi une carte pour vous. Et elle me la tend.

Dune me regarde avec curiosité pendant que je lis le mot et rigole.

– Que faites-vous maintenant ?

– J’allais sortir me balader et profiter de ce début de soirée à la plage.

– La bouteille de champagne et moi pourrions vous accompagner ?

– Vraiment ? Quelle super idée ! Devez-vous repasser dans votre chambre ?

– Non, ce n’est pas nécessaire. Allons chercher deux verres au restaurant.

Alors que nous montons à l’étage, je lui explique que mon directeur m’a envoyé la bouteille pour me féliciter de ma première présentation. Dune exprime sa surprise. J’avoue qu’à l’origine, c’est un collègue, licencié aujourd’hui qui devait venir au congrès.

Spontanée, elle déclare :

– Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Je suis ravie de ce changement de programme, sinon je n’aurais pas eu le privilège de vous connaître.

Surpris d’entendre les mots de cette grande brune élancée, je me sens flatté et suis sûr d’être en train de rougir.

Quelques heures plus tard, la nuit tombe sur la plage. Dune et moi avons bu la bouteille, nous nous sommes raconté nos vies, avons ri. Nous nous sommes découvert de nombreux points en commun.

Je me lève, lui tends le bras. Dune l’attrape, se retrouve debout en face de moi et tout naturellement m’embrasse. Un habit puis un second se retrouvent sur le sable, Dune s’est dévêtue pour se jeter dans l’eau en sous-vêtements. Je la regarde, stupéfait. Elle m’appelle pour que je la rejoigne. J’hésite, regarde autour de moi. La plage est déserte, seuls les lampadaires éclairent les quais. Elle lance son soutien-gorge sur la rive. J’enlève ma chemise, mon pantalon et glisse dans l’eau. Je m’approche d’elle, l’étreins.

Nous finissons par avoir froid, sortons de l’eau, nous enveloppons et marchons à grands pas jusqu’à l’hôtel. Pour rester discrets, nous prenons l’ascenseur dans le parking. Nul n’a besoin de savoir comment a évolué notre soirée. Au quatrième étage, je suis Dune qui court de la cabine à sa chambre.

Au petit matin, alors que nous dormons, le téléphone de la chambre sonne. Dune se réveille, se penche sur mon torse pour répondre. J’ouvre les yeux et constate que son visage est dénué de couleur. D’une voix blanche, elle déclare :

– Nous devons quitter la chambre au plus vite, il y a une alerte à la bombe sur l’hôtel, le congrès est annulé jusqu’à nouvel avis.

Perplexes, nous nous habillons à la hâte pour descendre dans la rue. Une fois l’annonce intégrée, je me dis qu’il s’agit d’une mauvaise plaisanterie. Le directeur et tout son personnel se veulent rassurants, mais j’ai l’impression que leurs visages peinent à cacher leur angoisse. Les clients ont la possibilité d’être soit conduits à l’aéroport ou dans deux autres hôtels du même standing, situés à cinq kilomètres de là. D’un commun en accord, Dune et moi choisissons un établissement en face de la mer. Nous interrogeons le couple qui nous accompagne en taxi mais n’apprenons rien.

Le check-in effectué, nous nous installons dans une nouvelle chambre. Perturbé, j’appelle mon chef et le mets au courant. Dune s’endort la tête sur mon épaule. Je suis trop contrarié pour en faire autant. Une heure s’écoule avant que nous sortions déjeuner sur la terrasse qui surplombe la mer.

Dans l’attente de nos plats, nous lisons le journal. Je révèle à Dune le nom des gens que j’avais prévu de rencontrer tout au long de la journée, ainsi qu’à la soirée de gala. Dune me rassure, elle connaît beaucoup de monde dans le milieu et me propose de les contacter dès cet après-midi.  Engagée par mandat, elle me mentionne son envie de découvrir ce qui se passe ailleurs qu’à Monaco. Je lui souris puis la questionne sans détour :

– Quand se termine ta mission ?

– D’ici trois mois. J’attends des réponses pour la suivante.

– Pour quelle durée ?

– Cela dépend de la compagnie, le plus souvent c’est de trois à six mois.

Songeurs, nous nous regardons puis prononçons les mêmes mots :

– On s’arrête à la chambre avant de profiter de la plage ?

Voir Dune m’emboîter le pas en me jetant des coups d’œil coquins m’amuse.

Les jours qui suivent se ressemblent et se résument par : balade en moto, baignades, rire, découverte de l’autre. Lors des déjeuners et soupers face à la mer, le sujet principal est mon retour dans le sud. Mon prochain séjour sera professionnel le jour et amoureux la nuit. Après ces trois jours de vacances passés ensemble, la séparation redoutée se présente à l’aéroport de Nice. Je ne cache pas ma tristesse, partagée par Dune qui formule la promesse d’attendre mon retour. Dès le soir même, je l’appelle et lui avoue compter les jours jusqu’à nos retrouvailles.

Grâce à cet amour naissant, je me sens déterminé à concrétiser la réalisation de mon jeu, en vue de le présenter rapidement. Au mieux, je trouverai des sponsors pour lancer mon projet, mes finances n’étant pas encore suffisantes à ce jour.

L’admiration de l’élue de mon cœur me pousse à me surpasser au quotidien. Grâce à elle, je suis un nouvel homme, qui ne fuit plus devant le reflet de son miroir.

Un matin, je reçois un appel me proposant d’avancer mon entretien pour rencontrer des personnes âgées. Satisfait de pouvoir donner de mon temps, je me réjouis de combler le vide imposé par notre séparation.

Les semaines nous séparant de nos retrouvailles sont occupées par mon travail, les visites auprès d’un homme et d’une femme âgés et l’avancement de mon dessein. Chaque jour, je me sens autant épanoui qu’impatient de rejoindre Dune. Je ne regrette rien de monparcours puisqu’aujourd’hui une nouvelle vie s’offre à moi, pleine de promesses.

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