Je m’appelle Jennylyn – Extrait

Je m’appelle Jennylyn – Extrait

Extrait du roman Je m’appelle Jennylyn de Francis Bonca

Extrait pages 153 à 157.

 

 

Je m’appelle Jennylyn – Extrait

Hier, samedi, promenade au bord du Rhône.

Assise sur un banc à contempler l’onde. Toujours ces verts profonds, ces teintes turquoise… Malgré le mois de novembre : ciel bleu, soleil, température presque agréable.

Il est midi, je reviens du cimetière de St-Georges. Descente à travers la forêt sous les bouleaux, les frênes et les hêtres en passant par l’auberge de la tour. J’ai traversé le Rhône par le pont de la Jonction et me retrouve sur le sentier des Falaises, le long de la rive droite.

J’étais là depuis quelques minutes, sur un banc, quand un homme est venu s’asseoir à côté de moi.
– Vous permettez, Mademoiselle ?

– Je vous en prie.

Il est âgé. Une vaste barbe blanche lui cache une partie du visage. Des cheveux gris et longs lui recouvrent la nuque. Il porte un épais bonnet de laine. En s’asseyant, il me regarde, me fixe intensément, bien que tout son visage semble sourire. Ses yeux sont étonnamment bleus et limpides, son front ridé, mais sa peau est brune, la peau de quelqu’un qui sort beaucoup et qui doit aimer le grand air. Il a posé son sac à dos près de lui. Après avoir fouillé à l’intérieur, il en retire une boîte en plastique et une cuillère à soupe. Il me demande si ça ne me dérange pas qu’il prenne son repas.

– Je mange à heure fixe, dit-il, afin de m’assurer une bonne digestion. À mon âge – j’ai plus de quatre-vingt-dix ans – la sagesse veut que rien ne soit laissé au hasard.

Je lui souhaite bon appétit et il commence à manger, lentement, par petites bouchées. En jetant un regard discret dans la boîte, il me semble y apercevoir de la salade de pommes de terre mêlée à des morceaux d’œufs durs.

Après son repas, qui a pris du temps, il referme la boîte, l’entoure d’un élastique et la remet soigneusement dans son sac. À l’observer ainsi, il donne l’impression que pour lui le temps ne compte pas. Chacun de ses gestes est mesuré. Pas le moindre empressement, pas la moindre nervosité.

Sur le fleuve, une énorme branche de bois mort passe lentement devant nous, suivie par un couple de cygnes dont la blancheur contraste avec le vert profond de l’eau…

Le vieillard tire maintenant de son sac une thermos et une tasse en fer. Il me demande si je veux du thé, une infusion de sa préparation. Lui boira dans le couvercle de la bouteille qui fait office de gobelet. La tisane est fumante, parfumée et agréablement sucrée. Je n’arrive pas à en définir le goût. Il m’explique alors qu’elle contient une dizaine de plantes sauvages différentes, qu’il va cueillir par les prés et les bois, chacune en leur saison. « On ne s’imagine pas les richesses infinies que renferme la nature, dit-il. Ma vie durant, j’ai parcouru forêts et prairies à la recherche de ces trésors. Initié par mon père, qui était herboriste, je le suis devenu à mon tour. Durant ma longue existence, il m’a été donné, grâce à Dieu, de soigner un grand nombre de personnes. Si elles n’ont pas toutes été guéries de graves maladies – même par la médecine traditionnelle – elles ont été, à tout le moins, soulagées dans les moments difficiles. »

Buvant notre thé, il me dit être parti à pied tôt ce matin de La Plaine. Il a marché le long du Rhône plus de cinq heures durant ! Cet après-midi, il se rendra à Genève chez sa petite-fille, où il restera quelques jours. Il avoue avoir été surpris de me voir là.

– Comment se fait-il qu’une jeune femme, presque encore une jeune fille, se promène seule dans un endroit sauvage, un jour de novembre ?

Je lui explique que je reviens du cimetière de St- Georges, là-haut sur la colline, où mon grand-père repose. Je viens souvent marcher au bord du Rhône, que je préfère aux rives du lac.

Au fil de la discussion, une fois de plus, je parle de mon père. Combien de fois n’ai-je pas conté mon histoire, ne me suis-je pas confiée à des inconnus, comme si cela m’était nécessaire ?…

Le vieil homme écoute attentivement, son regard bleu pointé vers le fleuve. Dès que j’ai terminé, il prend la parole.

– Ma chère Jennylyn – permettez que je vous appelle par votre prénom, vous avez l’âge de mon arrière- petite-fille – vous écoutant, j’ai cru comprendre une chose importante. Vous semblez vouloir ardemment rencontrer ce père que vous n’avez jamais vu, dont vous ne savez que peu de choses. Même si à votre âge il n’est plus nécessaire d’avoir un père absolument, vous recherchez une identité. Tous, nous voulons savoir d’où nous venons, pourquoi nous avons telle ou telle origine, comme si ces révélations devaient nous rassurer ou justifier notre existence. Serez-vous plus heureuse lorsque vous aurez rencontré cet homme ? Cela changera-t-il quelque chose à votre vie ? Vous seule y répondrez le moment venu, évidemment. Toutefois, une chose est certaine : quoi qu’il arrive, vous resterez toujours ce que vous êtes, ni plus ni moins. Il n’y a rien de pessimiste dans mes propos. Si je vous dis cela, c’est parce que je vois, en face de moi, une jeune et belle femme pleine d’avenir, intelligente, sensible, danseuse et aimant la nature. Vous savez que vous êtes suissesse, un peu française et un peu russe. C’est déjà beaucoup… Rencontrer votre père vous réjouira s’il correspond à l’image que vous vous en faites, sinon vous serez juste un peu déçue, mais pas pour longtemps. Et la vie, votre vie, reprendra son cours habituel. J’ai remarqué aussi votre ténacité. Continuez, envers et contre tout. Retrouvez ce père ! Ainsi, vous serez allée au bout de votre rêve ; je vous le souhaite et vous encourage. Souvenons-nous de ce qu’a dit Guillaume d’Orange le taciturne : « Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ».

Après ces paroles pleines de sagesse, le vieil homme, dont j’ignore le nom, m’a serrée dans ses bras et est parti d’un pas tranquille vers Genève.

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