Livre d’heures – Eté : 21h

Livre d’heures – Eté : 21h

Une heure extraite du livre d’heures, Heures de printemps, heures d’été de Marguerite Burnat-Provins – Septembre 1939

Autres romans du même auteur :Heures d’automne, Heures d’hiver – Hôtel – Près du rouge-gorge Le Voile Vous La fenêtre ouverte sur la vallée

Livre d’heures – Eté : 21h

Heures d’été : 21h

Voici la grappe noire des ténèbres, serrée, exprimée entre les doigts du Maître de l’alternance.

Au tournant de la nuit, comme au tournant d’une route, ne pouvant discerner ce qui vient, si c’est le pas pressé d’un porteur de triste nouvelle, un enfant épeuré qui court, un passant qu’on ne verra jamais…ou la fuite feutrée de l’heure, j’écoute.

Et toi qui es si loin, n’entends-tu pas le friselis de la chaîne renouée au portail, les volets rabattus, les deux tours de la clé ? Ne vois-tu pas la lueur blonde de la lampe errer, mettre des lignes aux persiennes, comme à une page d’ombre réglée d’or, n’entends-tu pas, sur le pavé, le claquement de mes babouches, et puis, plus rien.

L’âme délicate du jasmin a pris la nocturne envolée qui la porte jusqu’à la mer.

Elle entre, je ne suis plus seule ; sa fine tendresse est partout. Elle emplit la campagne altérée, se prête sans compter aux plantes dépourvues, aux buissons, les pauvres des sentiers, qui s’en parent et l’aiment, comme nous aimons l’illusion.

Elle remplit de luxe ma très simple maison, conviée à cette fête : partager la richesse de l’air.

Et toi, ne le sens-tu pas le jasmin ?

Le jasmin ou, sur ton chemin, une odeur embusquée, qui rampe, te reconnait, t’accoste, comme une femme retrouvée et dit : Tu te souviens… ?

En dérobant le soir quelques-unes de ces fraîches étoiles, j’en recompose une large corolle, à la vague ressemblance de celle qui couvrait ma paume, charnue, ourlée d’or, dans notre jardin de Mabrouk.

Alors, je divaguais, harassée de fièvre, le front prêt à éclater. Après avoir écouté le tintement des tablettes de cristal d’un lustre chinois, oublié sous la tonnelle d’une villa dormante entre les bras de cactus géants, je revenais vers la porte laissée béante, sans idée de rentrer, mais cherchant une froide compresse de pitié pour ma tête. Aux délices dont il est prodigue, comme pour m’accueillir et me consoler, l’arbuste ensorcelant ajoutait presque des paroles portées par son haleine enchanteresse, dans ces nuits égyptiennes où la mort me guettait.

Elle n’a pas voulu mon corps, mais le plus précieux est tué.

 

Tu n’entends pas ce qui revient ?

Ni le dernier mouvement de ma vie avant le sommeil, ni ma prière pour te secourir, loin des heures expirées, gisantes autour de moi ?

Où sont ta chambre, la table où tu m’écris, le lit où tu te reposes et chacune de ces petites choses qui doivent te servir ?

Autrefois, ton âme a soufflé sur mon âme, en l’attisant. Le feu montait, pour former une de ces gloires en nuages bouillonnants au sommet desquelles on voit Dieu.

Où est-il, ton amour ?

Nous étions comme ces vrilles obstinées qui s’élancent, s’attachent, serrent et semblent ne plus vouloir lâcher prise, les vrilles du grand jasmin d’Afrique. Sont-elles coupées pour disjoindre à jamais ce mien et cette tienne si chèrement payés ?

En y songeant, je sens que mon cœur ne bat plus, il tourne, il cherche la route pour regagner le tien.

Il arrive qu’elle m’apparaisse droite et bleue, comme une règle de fer, mais, quand s’amasse la brume, elle se complique de tous les enlacements du serpent.

Si je confie à l’air mon esprit, voyageur comme l’esprit dégagé de la fleur, tantôt, en fermant l’huis où tu ne dois pas frapper, sauras-tu qu’il est venu en même temps que toi et, avec lui, l’invisible si souvent ramené contre ma poitrine, mais pour l’insouciance facile, un oiseau, à peine, au bout d’un doigt,

…le souvenir, que je garde, que tu perdras.

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