À l’occasion de la sortie du dernier livre de Catherine Gaillard-Sarron, et parce que les fêtes approchent à grand pas, nous vous offrons en amuse-bouche une cruelle petite histoire de Noël, pour vous donner un avant-goût de ce qui vous attend à la lecture des nouvelles du recueil Des taureaux et des femmes.
Âmes sensibles, s’abstenir, les autres, soyez les bienvenus dans l’univers de l’auteure…
Cette fois il se pourrait bien qu’on ait affaire à un
mytho-mysticopathe !
L’ AFFAIRE DE NOËL
–Regardez, Maraud, il est entré par là ! On voit nettement
les signes d’effraction sur la porte.
–Bon sang, reprit ce dernier, mais qu’est-ce qu’un
type qui fait une chose pareille peut avoir dans la tête ?
–Vous savez inspecteur, poursuivit le commissaire
Harry Baud, Noël n’est pas une fête pour tout le monde.
Pour certains c’est même le pire moment de l’année. Ça
leur rappelle leur enfance et tutti quanti et ça suffit parfois
à leur tournebouler la tête.
–Quand même, ça fait froid dans le dos ce genre de
truc. J’avais encore jamais vu ça commissaire.
–Moi non plus, Maraud.
–Commissaire, appela Escherin, venez voir à la cuisine.
On a trouvé quelque chose qui peut vous intéresser.
Accroupie devant la poubelle, l’inspectrice en extirpait
le contenu en se pinçant le nez.
– Beurk, ça pue ces machins ! Il y en a au moins
quatre boîtes.
Au fur et à mesure elle posait les boîtes vides sur la
table.
–Eh bien, son forfait ne lui a pas coupé l’appétit,
remarqua Harry. Ce salaud s’est même tapé toute la
réserve d’anchois de la maison, on dirait.
–Regardez, dit Escherin, il y a aussi des restes de
saucisson et de la pizza ! Une vraie orgie ma parole !
–Heureusement que les gosses n’ont rien vu, dit
Maraud pensif en regardant vers la cheminée. Lui avait
deux petits mioches et il était sûr que la vision d’une
horreur pareille leur ficherait des cauchemars pour des
années.
–Oui, c’est vraiment un crime ignoble, soupira le
commissaire. On n’a vraiment pas le droit d’infliger ça
à des gosses.
Puis sans transition, il enchaîna :
–Nous avons encore combien de temps avant que
les propriétaires ne réinvestissent les lieux ?
–Deux heures environ, dit Maraud. Après leur déposition
de ce matin, je leur ai dit que nous aurions besoin
de l’après-midi pour relever les indices. Ils doivent revenir
vers seize heures. Ils pourront fêter Noël chez eux…
enfin, s’ils en ont toujours le coeur après ça….
–Est-ce qu’ils ont une idée du type qui a pu faire ça ?
–Aucune commissaire. Ils ne se connaissent pas
d’ennemis et disent avoir été terriblement choqués
ce matin lorsque, revenant d’un court voyage, ils ont
découvert le corps pendu devant la cheminée du salon.
Par chance les gamins n’ont pas assisté à l’hideux spectacle.
Le père, alerté par ses marmots qui pleuraient –
le père Noël installé contre la façade trois jours plus tôt
avait disparu – s’est méfié d’un possible cambriolage et
les a empêchés d’entrer. Il nous appelés immédiatement.
–En tout cas notre assassin n’est pas très malin, ou il
n’était pas dans un état normal, avança Harry. Il a laissé
ses empreintes partout. S’il est fiché, on n’aura aucune
peine à le retrouver.
Puis, dubitatif, il ajouta en se frottant le menton :
–Cette fois il se pourrait bien qu’on ait affaire à un
mytho-mysticopathe !
La sonnette les fit soudain sursauter.
–Escherin, allez voir qui c’est, dit le commissaire.
Puis se tournant vers Maraud :
–Allez, c’est pas tout, va falloir dépendre ce pauvre
bougre.
La porte à peine ouverte, un cantique de Noël
entonné par l’armée du salut retentit dans la maison.
Le commissaire, contrarié, sortit à son tour et rejoignit
l’inspectrice sur le perron. Avec un air de circonstance
ils écoutèrent poliment la fin du morceau puis Harry,
glissant un billet dans la marmite, les pria d’aller donner
leur aubade un peu plus loin.
Entre-temps, à l’intérieur, Maraud avait trouvé un
escabeau et tentait de dépendre la victime.
–J’y arrive pas, cria-t-il au commissaire qui refermait
la porte. Tout est entortillé avec des fils de fer. Il me faudrait
une cisaille ou un chalumeau !
–Je vais voir au sous-sol si je trouve quelque chose,
proposa Escherin frigorifié par l’intermède musical. Ça
me réchauffera !
Harry, face à l’étrange spectacle qu’il avait devant les
yeux et que plus rien n’étonnait après trente-cinq ans de
service, ne put cependant retenir cette réflexion :
–Quand même, Maraud, il faut être soit complètement
fou, soit se sentir terriblement malheureux, pour
oser pendre le père Noël… !