Sa soeur

Sa soeur

Nouvelle tirée du recueil La densité de l’instant de Fabienne Morales

Sa soeur

Le téléphone sonne ; il décroche ; il marque un temps. Il regarde devant lui, puis ses mains, ses ongles. Il remet le téléphone dans sa poche. Il plante ses yeux dans les siens puis il dit : Faut que je parte. Elle est morte.

Elle va vers lui. Elle l’enlace. Elle serre sa main. Elle cherche une réponse dans son regard. Elle esquisse un sourire. Elle dit : tu reviens quand ?

Il part.

Il revient sur ses pas. Elle lui tend les clés. Il lui sourit. Il part. Plus tard, il revient. Les bras chargés. Sur la patère, il attrape son tablier.

Il pousse la porte du laboratoire. L’inox glacial s’étale. La lumière mordante du néon s’impose après deux hoquets familiers. Ses poignets sursautent au contact de l’acier. Il baisse ses manches. Il aligne outils et ingrédients sur le plan de travail. Il regarde droit devant lui. Mécaniquement, il déballe et aligne : les œufs, la farine, le beurre, le chocolat, les pommes, le sucre, le jambon, le fromage, les oignons, les lardons, la crème, la viande hachée, le sucre vanillé, les tomates, les citrons.

D’abord, l’entrechoc coutumier des ustensiles. Le couteau sur la planche, la plaque de chocolat qui s’en va en morceaux rejoindre le fond du bol. C’est presque le souffle de la farine. Le froufrou des sachets, le sucre, encore la farine. La danse des œufs dont on reconnaît le petit bruit de rupture, de résignation. Il pétrit, hache, émonde. Il fouette. Il se bat. Des mots et des casseroles. Le bras qui s’abat sur la râpe, le citron mis à nu. Des gestes pour attraper le couteau, la spatule, le fouet. Le rouleau. La mort, l’absurde. Encore le rouleau. Il ricane puis gueule. L’évier se remplit avec fracas ; cuillères, couteaux, fourchettes heurtent bruyamment le fond. Echos de colère. Des heures durant, le fourmillement de la vie se heurte contre la mort. Des heures durant, les gestes précis, enchaînés-déchaînés viennent buter contre la révolte.

Puis plus rien. L’armistice. Le temps. Le silence. La nuit.

Au petit matin, un capharnaüm gigantesque, titanesque s’étale. Les planches à découper sont souillées de gras, de copeaux de viande, de résidus filandreux. Les bols essuient des traînées de farce, de béchamel, de beurre durci. Les cuillères, les couteaux, les fourchettes, les louches gisent comme autant d’âmes épuisées. Les épluchures confondues s’amoncellent vidées de leur substance, réminiscentes, fatiguées. Les torchons chiffonnés sont abandonnés. Lui, il dort. Enfant des châteaux de sable érigés. De souvenirs de la mer et du ressac. La tête posée sur le tablier roulé en boule. Il dort. Autour, des petits pains tièdes aux pépites de chocolat moelleuses et tendres blottis dans des paniers d’osier, des chaussons aux pommes innocents et fiers se bousculent sur le rebord de plats recouverts de papier dentelle, des croissants potelés fourrés d’amandes, grassement empilés sourient au matin et des rissoles bonhommes bombées se rengorgent de leur bonheur replet.

Elle ouvre la fenêtre ; elle presse son index sur l’interrupteur pour éteindre le néon ; elle s’assied à ses côtés. Elle regarde son visage ; elle pose une main sur son épaule ; elle pose sa tête sur son épaule ; il ne se réveille pas ; elle le regarde encore ; elle se lève. Elle fait du café ; l’odeur épouse l’aube et elle contemple les heures écoulées; les vies passées. Il se réveille ; il fait mine de se lever ; elle avance d’un pas. Alors, il la regarde et dit : tu vois, ma sœur, je l’aimais.

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