Les enquêtes de Sophie Lanzmann, écrites directement en ligne par Michel Diserens.
Chapitre XIII (suite)
Le lundi matin, alors que Sarah était partie à l’aube au travail, Sophie profita de faire la grâce matinée. À presque neuf heures trente, son mobile se mit à vibrer sur la table de nuit.
– Oui… ? dit Sophie encore dans les brumes.
– C’est Sarah ! Je voulais te dire avant que tu rentres à Paris que la nomination de Carine était officielle. Tout le personnel de Swiss Air Control a été informé par mail, ce matin. Avec ce message, j’ai appris plein de choses sur ma nouvelle cheffe. Si ça t’intéresse, je peux t’envoyer ces informations à mon adresse privée et te donner l’accès à mon ordinateur.
– Pourquoi pas ?
– PAIX.
– Pardon !
– P-A-I-X, c’est mon password.
Le code d’accès de son ordinateur personnel, à lui seul, résumait bien ce petit bout de femme. PAIX ET AMOUR aurait été encore mieux approprié. Sophie se rendit compte à quel point son amie aspirait à vivre dans un monde dépourvu de violence et de tromperie. Ces derniers mois, Sarah avait dû souffrir, comme si le monde n’était plus peuplé que de bourreaux, de voleurs et de criminels.
– Je te souhaite cette paix, Sarah. Après, si tu n’y vois pas d’objection, je retournerai à Paris. Merci pour tout.
Sophie prit d’abord une douche, puis enfila un jean et un tee-shirt, de quoi être à l’aise pour son long voyage en voiture. Elle fit le lit, rassembla ses affaires dans son sac à dos et rangea un peu l’intérieur de Sarah. Elle enclencha encore le lave-vaisselle avec tout ce qu’elle avait collecté comme assiettes, verres et couverts à travers le salon, la salle à manger et la cuisine. Satisfaite, alors qu’elle était prête à quitter l’appartement de Sarah et à lui remettre la clé dans sa boîte aux lettres, elle décida de lui écrire un petit message de remerciement. Ce fut seulement en s’approchant du bureau qu’elle se souvint du message que Sarah avait envoyé sur son propre ordinateur. Elle s’installa à la table de travail, alluma l’i-Mac de son amie et tapa les quatre lettres qui composaient le sésame. Le dernier message posté dans la messagerie électronique de Sarah s’intitulait « Notre nouvelle DRH » et provenait à l’origine de la messagerie du directeur général de Swiss Air Control. En résumé, il annonçait ce que tout le monde savait déjà depuis bientôt trois mois : Carine Rousselle, d’origine allemande née Clausen, était nommée au poste de directrice des ressources humaines et rejoignait ainsi la direction exécutive de l’entreprise. Il était fait un tas d’éloges sur ses compétences, sa créativité et sa volonté de parfaire encore la gestion du personnel. La liste des formations et des activités professionnelles que Sophie put découvrir était impressionnante. Il n’y avait pas un seul mot au sujet d’Éric Randin. Il n’était d’ailleurs pas sûr que le directeur général soit déjà au courant de l’assassinat de Karl Duschkewitz et de la possible innocence de son ancien directeur des ressources humaines, au moment (à huit heures quarante-deux, précisément) où il avait envoyé le message à l’ensemble du personnel.
Ce qui retint l’attention de Sophie se trouvait au tout début du message : « d’origine allemande. » Son amie n’était donc pas française de naissance. Elle ne lui en avait jamais parlé. Carine était toujours restée secrète sur son enfance, comme par pudeur, voire par embarras de son passé. Sophie se souvenait même d’une dispute qu’elle avait eue avec Carine alors qu’elles étaient étudiantes. Sa colocataire s’était plongée sans raison dans une colère démesurée parce qu’elle lui avait demandé, à son tour, de raconter son enfance. Elle hésita donc avant d’oser fouiller dans le passé de son amie. Elle n’avait pas eu le moindre soupçon sur elle depuis le début de l’enquête, alors que – si elle y réfléchissait bien – Carine avait été la mieux placée pour saboter le matériel de spéléologie de Karl. Sophie finit par ouvrir le navigateur Internet et lancer une recherche sur Google.
Elle n’avait encore fait aucune recherche sur la ville natale de Karl Duschkewitz. Sur le site de la commune Glücksburg, dans la région de Schleswig-Holstein, elle trouva des photographies de la ville. En voyant ces bâtiments en brique rouge, elle comprit brusquement pourquoi les photographies de Karl lui avaient donné cette impression de déjà vu. Elle se souvint que lorsque Carine et elle-même étaient colocataires, elle était tombée par hasard sur une vieille photographie. Cela s’était passé durant un nettoyage de printemps, alors que Sophie déplaçait seule le bureau de Carine. Sur un cliché rempli de poussière, elle avait pu distinguer deux jeunes filles à peine adolescentes. La plus âgée d’entre elles avait certaines ressemblances avec Carine, bien que plus en chair. Une parente ? Ce fut à cette occasion que Sophie avait vu pour la première fois ces constructions en briques rouges, lesquelles tapissaient le fond de la photographie. Et lorsque Sophie lui avait remis le cliché en lui demandant qui étaient les deux filles, Carine était une nouvelle fois entrée dans une fureur épouvantable. Elle avait hurlé des insanités contre elle en l’éjectant avec brutalité de sa chambre. Durant plus d’une heure, elle avait refusé de sortir et de lui adresser la parole. Après cette seconde crise d’hystérie, Sophie n’avait plus jamais essayé d’en apprendre davantage sur l’enfance de son amie.
Et pourtant Carine avait prétendu ne pas pouvoir aider Sophie lorsqu’elle lui avait montré la photographie de Karl Duschkewitz devant des bâtiments en brique rouge.
Malgré de longues recherches, Internet ne délivra pas davantage d’informations. Il n’y avait aucune « Carine » qui aurait marqué l’histoire de la commune. Sophie en était comme soulagée, elle qui osait soupçonner son amie d’avoir eu un lien quelconque avec Karl, lorsqu’il était plus jeune. Pourtant, Sophie ne pouvait pas négliger cette éventualité. Il lui fallait en avoir le cœur net et approfondir ses recherches. Elle réfléchit au meilleur moyen de poursuivre son enquête et arriva à la conclusion qu’elle n’alerterait le commissaire Jolliet que si ses soupçons se précisaient. Un possible innocent avait déjà fait les frais d’une enquête bâclée et Sophie n’en était, pour l’instant, qu’à de vagues suppositions. Par mesure de sécurité, elle effaça l’historique des pages Internet visitées ; Mathieu aurait été content d’elle. Puis, l’esprit absorbé, elle éteignit l’ordinateur. Elle ne savait pas encore si elle allait revenir chez Sarah ou s’installer chez sa tante. Dans tous les cas, il n’était plus question de rentrer à Paris. Elle écrivit un petit mot à sa jeune amie, lui indiquant qu’elle avait finalement décidé de rester quelques jours à Genève sans lui révéler quoi que ce soit sur l’affaire Duschkewitz. Elle précisa qu’elle se permettait de conserver la clé de son appartement pour l’instant, ne sachant pas si elle allait séjourner chez sa tante ou chez elle.