TABLETTES DE PLOMB
SORTIE 8 NOVEMBRE 2024
Plaisir de Lire : Qui êtes-vous ?
Je suis quelqu’un qui aime écrire depuis l’enfance… J’ai longtemps pensé que l’écriture professionnelle (je suis socio-anthropologue) et l’écriture personnelle, plus littéraire, devaient être clairement différenciées. Jusqu’à ce que je découvre la façon dont de nombreux ethnologues transmettaient leurs descriptions et études. Petit à petit, je me suis libérée de l’opposition de ces deux « genres de textes ».
Je pense donc, à présent, qu’un livre dit « professionnel » doit toucher son lecteur en accompagnant ses représentations et conquêtes. Il s’agit ainsi d’une conversation silencieuse entre auteur et lecteur, conversation dont la progression est soutenue par le style. Je crois y être arrivée, notamment dans mon livre Les solitudes.
Et, je pense également qu’un roman ne constitue pas seulement un divertissement. Les romans — polars compris — ont à faire voyager le lecteur, dans le monde, l’imaginaire et la réflexion.
Les deux « genres de texte », à mes yeux, doivent donc avoir en commun : progressivité, découvertes, et tension narrative.
Plaisir de Lire : Pourquoi écrivez-vous du polar ?
Je suis une grande amatrice de polars ! J’adore découvrir un nouveau filon et, si le premier exemplaire me plait, je lis tout… J’ai toujours un polar sous la main. Ce sont souvent des éditions « Poche », facile à glisser dans son sac.
J’écris donc des polars parce que je crois que mon plaisir et mon intérêt sont partagés par d’autres ! Il est vrai que je ne considère pas cette littérature comme un genre mineur. J’en attends, comme pour tout roman, qu’ils proposent des enjeux de société et des enjeux humains, qu’ils me fassent participer activement à une intrigue, qu’ils nourrissent mon imaginaire. Et, bien sûr, qu’ils soient bien écrits !
Plaisir de Lire : Le pitch de votre roman Tablettes de plomb en quelques lignes ?
Des jumeaux intersexués dotés d’un pouvoir de divination, un dignitaire ivoirien du culte du poro, une guérisseuse catalane immigrée. Qu’ont-ils en commun, si ce n’est de transgresser les frontières entre ce que tout semble opposer ? Et de se rencontrer à l’interface du Lyon contemporain et de l’antique Lugdunum. Le commissaire Rémy Courbier les rejoint-il, lui qu’un enfant mésopotamien visite en rêve ? Quelqu’un, en tout cas, les menace. Des tablettes de plomb, mélangeant caractères grecs, latins et écriture cunéiforme, annoncent une mort prochaine. Ce roman policier, puisant dans l’ethnologie et la mythologie, aborde une haine qui prend source dans la peur et le rejet des différences.
Plaisir de Lire : quelques passages de votre livre que vous aimez ?
- « Les images de fouilles et celles d’une Syrie inconnue se sont mêlées dans son sommeil, sans qu’Ismaïl se manifeste ; il n’apparaît pas à la demande. Mais, au réveil, les senteurs du rêve sont tenaces. C’est le parfum mélangé du thym et du romarin qui s’impose au départ, pour laisser place ensuite à celui, minéral, des pierres brûlantes incrustées de mica. La nuit s’étend alors si brusquement sur les rochers qu’ils gémissent. Des odeurs de fossé et de décomposition prennent alors le dessus. Étonnamment, elles ne sont pas désagréables. Elles imposent l’intensité d’une vie sous-terraine foisonnante et dense. »
- « Ni voix, ni mouvement ne viennent distraire son immobilité. C’est l’odeur qui impose avant tout la puissance de l’eau. Un rappel incomplet de la mer, celui d’algues d’eau douce ; d’écorces et de feuilles décomposées ; de mousses. L’absence du sel. Le fleuve, ici, n’est pas encore gros des eaux de la Saône. Mais, déjà puissant, sa voix est devenue audible. Sa profondeur, son épaisseur, renvoient en surface l’écho ténu d’un son de gorge, celui des profondeurs. Plus loin, le battement obstiné d’un assaut sur un muret de pierre. Quelques vagues léchées, audacieuses, dont la couleur s’est absentée. Mais les lumières de la ville font un ballet calme, d’une parfaite chorégraphie. Or, bronze, cuivre traversent en tremblant le passage sombre du fleuve, traçant leurs diagonales depuis la rive opposée. Des nuances arc-en-ciel parfois les ponctuent. Elles ne troublent qu’à peine la matière métallique qui glisse, impérieuse. Les rares remous sont de mercure. Ou plutôt de plomb fondu, pense Rémy. »
- « Le son de mes pas me semble creux, dans les rues silencieuses. Il y a sous mes pieds un immense labyrinthe. Les galeries communiquent sur des milliers de kilomètres, à travers des milliers d’années. On tombe parfois sur les impasses de la mémoire. »
- « C’est au matin, cette fois, qu’il s’assit sur « son banc ». Ce fleuve aussi est une frontière, songeait-t-il. Entre deux mondes. Les hommes ont construit des ponts et il y a des bateaux qui le traversent. Mais d’une rive à l’autre, l’ombre reste différente. Autrefois, c’étaient des étrangers qui habitaient en face, ils n’étaient pas des nôtres. »
Plaisir de Lire : Votre auteur préféré ou votre livre de chevet actuellement ?
Pour le moment, je termine : Kamanda Eva & Bohez Kristof (2023). Une vie sous silence. Notre histoire congolaise en Belgique. Bruxelles : Racine.
Il m’est difficile d’identifier un auteur préféré, parce que mes goûts sont très éclectiques. Je peux citer certains livres qui m’ont marquée : Confiteor, de Jaume Cabré ; Le rivage des Syrtes, de Julien Gracq ; Le Ministère du Bonheur Suprême, de Arundhati Roy.
Parmi les romans policiers qui abondent dans ma bibliothèque, le prochain, déjà sous la main, est l’un des rares de Michaël Connely que je n’ai pas encore lus (Les ténèbres et la nuit).