Le quatrième livre de Marie Javet publié aux Éditions Plaisir de Lire, Le cahier d’Anthéa sort ces prochains jours. Entretien avec l’autrice-
Plaisir de Lire : Vous sortez en cette rentrée littéraire 2024 deux romans policiers, un pour la jeunesse…aux éditions Auzou, un autre pour adultes chez Plaisir de Lire. Quels sont vos ressorts d’inspiration pour écrire des polars pour les petits et aussi pour les grands?
Marie Javet : Mon roman chez Auzou qui paraîtra à la rentrée n’est pas réellement un roman policier, c’est un récit à suspense avec des composantes surnaturelles. Même s’il est vrai que par le passé j’ai écrit deux polars jeunesse dans la collection Frissons Suisses, celui-ci est un peu différent, parce qu’il est beaucoup plus long et qu’il s’adresse aux adolescents plutôt qu’aux enfants.
De manière générale, mes romans (adultes, ados ou enfants) sont des romans à suspense sans être à proprement parler des romans policiers. Il n’y a pas d’enquête “traditionnelle” et si la police intervient, sa présence est accessoire. Il y a une ambiance de mystère qui s’épaissit au fil des pages, une tension qui monte lentement. Il n’y a pas toujours de meurtres d’ailleurs.
Même si “Le Pensionnat des Trois-Sapins” et “Le Cahier d’Anthéa” sont deux romans extrêmement différents, dans les deux cas, mon but est de surprendre le lecteur là où il ne m’attend pas. D’abord, il s’agit de l’accrocher en lui présentant des personnages attachants et d’autres plus sombres, plus tourmentés. Ensuite, de développer une intrigue qui lui donne envie de tourner les pages. Et finalement, de tenter de le surprendre, de l’amener sur de fausses pistes, de détourner son attention pour arriver à une conclusion à laquelle il n’avait pas pensé. Il s’agit de jouer avec le lecteur, de le manipuler un peu, mais pour son plus grand plaisir.
Que ce soit pour les adultes ou pour les enfants, le processus est le même. Ce sont les thématiques et le vocabulaire qu’on adapte, mais il ne faut pas sous-estimer le jeune lectorat, qui est tout aussi exigeant que le public adulte !
J’essaie toujours d’imaginer des histoires que j’aimerais lire ou avoir lues plus jeune. L’inspiration, elle, vient souvent de lieux réels qui dégagent une atmosphère, qui me font penser : ” Oh ! Quelque chose de mystérieux a dû se passer ici, et si ce n’est pas le cas, eh bien, je vais l’imaginer…”
Plaisir de Lire : Le cahier d’Anthéa est un roman policier très psychologique comme la plupart des vos romans parus chez PL, comment faites vous pour vous mettre dans la tête d’un psychopathe ou d’un criminel machiavélique, lisez vous beaucoup de chroniques judiciaires, de romans policiers ou tout sort-il de votre imagination ?
Marie Javet : Je pense que cela, sans vouloir m’auto-psychanalyser, vient d’une contradiction dans ma personnalité. J’aime la sérénité, le calme, la contemplation, les balades dans la nature. J’ai d’ailleurs aussi écrit, en parallèle de mes romans à suspense, un feelgood sur le minimalisme et le choix d’une vie plus simple, plus authentique. D’un autre côté, la nature et mon cerveau ayant horreur du vide, je me questionne souvent sur les gens, leurs motivations, ce qui se passe dans leur tête, ce qui se cache parfois dans la divergence qu’on peut constater entre les paroles et les actions. La psychologie humaine me fascine.
Si mon choix d’études s’est porté sur la littérature plutôt que la psychologie, ce n’est pas anodin. La fiction est comme un écran entre moi et le réel. Une façon d’aborder le monde en restant protégé dans sa bulle. De le comprendre sans trop m’y frotter. J’arrive à imaginer à quels extrêmes peuvent conduire les passions humaines, les frustrations, les jalousies. Je ne lis pas de chroniques judiciaires même si je regarde parfois (mais c’est rare) des séries “true crime”. Là aussi, je préfère la fiction, elle m’horrifie moins. Elle reflète la réalité mais reste le fruit de l’imagination. Je lisais en effet beaucoup de romans policiers par le passé, j’en lis toujours, mais moins, au profit, par exemple, de romans japonais.
Plaisir de Lire : Le cahier d’Anthéa se passe dans les années 30…pourquoi le choix de cette période historique ?
Marie Javet : Je vais peut-être vous surprendre mais situer le roman dans les années 30 n’était pas un choix, mais… une contrainte nécessaire. Pour expliquer ceci, je dois en revenir à la genèse du personnage d’Anthéa et à mon deuxième roman paru chez Plaisir de Lire, Avant que l’Ombre. Dans ce roman à suspense, qui met en scène une communauté d’artistes installés dans une maison des hauts de Lausanne, le personnage d’Anthéa est mentionné. On a déjà quelques éléments sur elle : une photo encadrée sur les murs, le fait qu’elle a fait construire la maison à l’architecture un peu hétéroclite dans laquelle se passe l’intrigue d’Avant que l’Ombre, quelques journaux intimes retrouvés par les personnages. Et surtout, on sait qu’elle s’est immolée à la fin des années 60 entre les murs de cette maison. En revanche, on ne sait pas pourquoi. Les personnages d’Avant que l’Ombre ne le savent pas, les lecteurs non plus, et moi-même, quand j’ai écrit le roman, je ne le savais pas encore.
Si beaucoup d’auteurs écrivent des séries et que j’aime les lire, cela ne me tente pas particulièrement d’en écrire. J’aime laisser partir mes personnages une fois le roman achevé et en imaginer de nouveaux. Pourtant, depuis Avant que l’Ombre, si j’ai pu dire adieu aux personnages principaux sans trop de problèmes, celui d’Anthéa m’a hantée (son prénom était-il prédestiné ?). Elle ne quittait pas ma tête, je me demandais pourquoi je lui avais réservé un destin si horrible. J’ai écrit d’autres romans entretemps mais elle a continué à me “harceler”, jusqu’au jour où j’ai déclaré : “Anthéa, à nous deux. Je ne peux pas t’écrire une suite, un futur, mais je peux t’écrire un passé. On va démêler les raisons de ta fin tragique.” Et c’est ainsi qu’Anthéa est née, à la fin de la grande Guerre, et a évolué dans les années 20 et 30, puisque, tout simplement, la date et l’âge de sa mort étaient prédéterminées par un précédent roman.
Plaisir de Lire : Selon vous, le secret de famille débouche -t-il toujours au mieux sur la psychose …au pire sur le crime?
Marie Javet : J’espère bien que non ! Cependant, le secret, qu’il soit de famille ou non, ce qui est caché, dissimulé avec soin, finit toujours par affleurer à la surface. S’il n’est pas révélé, on en devine parfois les contours, les ombres, au travers des attitudes de ceux qui nous les cachent. On perçoit qu’il y a “quelque chose qui ne sonne pas juste”, on peut devenir suspicieux, voire paranoïaque. Quand le secret est révélé, il peut parfois détruire les certitudes, les fondations sur lesquelles notre vie est construite. Si l’on n’a pas alors une spiritualité, une transcendance, un système de valeurs solide, alors oui, on peut se sentir trahi, abandonné, et alors “vriller” et en arriver aux pires extrémités.
Marie Javet est née en France. Elle a étudié les lettres à l’Université de Lausanne. À côté de l’écriture, elle effectue auprès de maisons d’éditions du rewriting ou des corrections de manuscrits et est également remplaçante scolaire. Elle est l’auteure de trois romans à suspense, La Petite Fille dans le miroir (Plaisir de Lire, 2017), Avant que l’Ombre… (Plaisir de Lire, 2018), Les Roses sauvages (Plaisir de Lire, 2020), d’ un feel good, Toute la mer dans un coquillage Solar Bien être 2020), d’un roman d’horreur, Tunnel pour l’enfer (Gore des Alpes, 2022) et de trois romans jeunesse : La jeune fille du lac Noir (Auzou, Frissons Suisses, 2020), Le Gardien de la tour Bayart (Auzou, Frissons Suisses, 2022)et Le Pensionnat des Trois-Sapins (Auzou, Frissons Suisse, août 2024).