Nouveauté Mars 2023
Plaisir de Lire : Musicien, acteur associatif, visiteur de prison, maire, diplomate de carrière et maintenant auteur, où trouvez-vous le temps et l’énergie pour mener en permanence de nouveaux projets ?
Patrick Lachaussée : J’ai toujours voulu vivre intensément de nombreuses expériences. Aujourd’hui, mon activité professionnelle me prend beaucoup de temps et d’énergie. Mais le soir, le week-end ou pendant mes congés, je trouve des moments de liberté. Écrire ou jouer de la musique avec mes enfants sont des moments si importants que je les vis avec la même intensité et toujours beaucoup de joie. Et tant que la joie est là, le temps passé et l’énergie dépensée ont finalement peu d’importance. Nous n’avons qu’une vie et elle est courte. Autant en profiter.
PL : Bourama, L’arbre et le sage nous entraîne dans une folle course autour du monde, où trois personnages unissent leurs forces pour tenter d’identifier les auteurs d’une dramatique attaque chimique sur les habitants d’un petit village du Mali. Derrière cette fiction aux nombreux rebondissements se cache-t-il une quête de votre identité personnelle et de vos liens avec l’Afrique?
Patrick Lachaussée : En effet, je suis ce qu’on appelle un octavon qui s’ignorait et il suffit de me regarder pour se demander si je ne raconte pas des histoires. En réalité, mon arrière-grand-père paternel était un homme venu d’Afrique. Mon arrière-grand-mère et lui ont vécu une véritable histoire d’amour. Une histoire d’amour « interdite » au début du XXème siècle. En 2001, en quête de ces racines perdues et enfouies dans les secrets de famille, je suis parti au Mali sur les traces de cet ancêtre dont je ne savais rien. Durant ma quête, j’y ai alors œuvré pour mener des projets de développement dans des villages reculés et j’y ai rencontré des sages comme le héros de ce livre, des hommes et des femmes courageux, travaillant au quotidien dans des conditions infernales pour subvenir aux besoins de leurs enfants et des anciens, avec solidarité et bienveillance, avec foi et respect de traditions séculaires. J’y ai appris une grande leçon de vie et d’humilité, une leçon qui ne me quitte plus, une leçon qui me guide aujourd’hui encore.
PL : Et ce voyage vous a permis d’écrire Bourama l’arbre et le sage. Quel est le personnage du roman qui ressemble le plus à ceux que vous avez croisé dans la vraie vie? Le sage africain Bourama, l’ancien ambassadeur du Mali à la tête de la cellule de crise du quai d’Orsay, Sofiane le jeune hacker en quête de vérité et d’éthique?
Patrick Lachaussée : A vrai dire, je les ai tous croisés. Mes nombreux voyages dans le monde, mon métier et mes activités associatives ou d’élu local m’ont permis de rencontrer des personnalités exceptionnelles comme celles qui figurent dans ce livre. En Afrique, j’ai eu l’honneur de rencontrer des maîtres forgerons, des sages puissants et bienveillants, dans les villages du Mali où j’ai mené, avec d’autres, des projets de développement autour de l’irrigation maraîchère. J’ai également travaillé avec des diplomates engagés dans ce qu’ils réalisent au quotidien au service de leur pays et de leurs compatriotes dans des régions en proie aux crises et aux catastrophes. J’ai travaillé avec des jeunes gens ou des jeunes filles, issus de quartiers périphériques, à Lille, Reims ou à Évry où j’ai animé une association de quartier ou dans mon activité professionnelle, lorsque je les ai recrutés et formés pour qu’ils puissent travailler à mes côtés et s’épanouir. Ce livre est dédié à ces personnes avec respect et gratitude.
PL : Le 12 janvier dernier, 18 villageois ont été assassinés au Nigeria. Dans votre ouvrage, c’est le village de Bourama qui est décimé, votre roman entre singulièrement en résonance avec l’actualité tragique africaine?
Patrick Lachaussée : Ce livre s’inscrit dans une triste réalité. Le Mali est soumis, comme d’autres pays du monde, à des tensions sans précédent, à des attaques terroristes, à une montée d’une propagande haineuse et une guerre qui ne dit pas son nom. La population, alors qu’elle se bat au quotidien contre les calamités que le réchauffement climatique accentue, souffre d’autant plus de ces exactions qui menacent leur équilibre et leur sécurité. Je souffre aussi avec ces hommes et ces femmes que je connais bien pour avoir vécu et travaillé à leurs côtés. Je sais malheureusement ce qu’ils vivent.
La tragédie et les violences qu’ils subissent sont telles que la sagesse des anciens n’est même plus écoutée, ni même respectée. Et pourtant, des sages comme Bourama tentent encore de montrer la voie, en puisant dans leurs connaissances des traditions ancestrales, pour transmettre un message de paix, de confiance et de bienveillance, comme l’énonçait le Serment des chasseurs et la plupart des cosmogonies bambara, peul ou dogon.
J’espère que ce livre sera une sorte de porte-voix de la pensée et de la parole des sages comme « Bourama » et que chacun puisse œuvrer pour le bien de toutes et tous, le retour à la paix, au dialogue et à la confiance. Ce livre est avant tout un appel à la paix et à la bienveillance, à la solidarité et au respect des uns et des autres.
PL : Votre jeune Sofiane, l’un des personnages clés de votre livre, doit sa rédemption à la lecture. Les livres vous aussi vous ont-ils parfois sauvé? Si oui, lesquels?
Patrick Lachaussée : Sofiane existe. En réalité, j’ai rencontré de nombreux Sofiane, jeunes gens ou jeunes femmes qui, comme lui, cherchent, par la lecture, le travail et l’effort, à s’émanciper de certains schémas ou certaines représentations trompeuses, de ces représentations colportées par des images de voitures brûlées alors que dans le même quartier, on ne montre jamais celles et ceux, jeunes ou moins jeunes qui animent des associations aux activités et projets ambitieux, créent du lien social, développent le sens civique, des actions de solidarité. Bref, nombreux sont celles et ceux qui créent du positif au quotidien, pour le bien du plus grand nombre. Or, le positif, on ne le montre pas toujours. C’est aussi cela le message de ce livre, un message qui invite le lecteur à l’écoute, au dialogue, à l’ouverture, à la curiosité et à la bienveillance. Pour ma part, j’ai eu la chance de grandir au milieu des livres. J’ai toujours lu et j’espère pouvoir lire encore longtemps. La lecture a toujours été une source d’ouverture et d’inspiration. J’ai rêvé sur les voyages extraordinaires de Jules Verne. Je me suis indigné avec Zola, Hugo ou Steinbeck, j’ai ri et pleuré avec Romain Gary, compris ce que l’homme était capable de faire à d’autres hommes avec Primo Lévi, Toni Morrison, James Baldwin ou Joseph Conrad. J’ai « pensé autrement » avec Albert Camus, Alain Touraine, George Orwell ou avec Douglas Hofstadter. Je suis parti à la rencontre de l’Afrique avec Amadou Hampaté Ba, Ahmadou Kourouma et tant d’autres. Je pourrai en citer bien d’autres qui m’ont inspiré et qui continueront de me donner l’envie de lire et, sans doute aussi, l’envie d’écrire.
Propos recueillis par Béatrice Peyrani