Biographie
Originaire de Zell, dans le canton de Zurich, Pierre De Grandi est né à Vevey en 1941. C’est à Lausanne qu’il obtient son diplôme de médecine en 1966 puis son doctorat en 1970. Médecin-chirurgien, enseignant et scientifique, il a terminé sa carrière en 2007 en tant que Chef du Département de gynécologie-obstétrique, Directeur médical du Centre Hospitalier Universitaire vaudois et Professeur à la Faculté de Médecine de Lausanne. Fils de peintre et homme d’une très grande culture, il est passionné de musique et préside l’Association vaudoise des amis de l’Orchestre de la Suisse romande. Il est l’auteur de nombreux livres et articles scientifiques mais YXSOS ou Le Songe d’Eve est son premier roman publié.
Interview de Pierre de Grandi
Le thème du rêve est important dans Yxsos. Tout le monde rêve, sauf Kate. Pourquoi le rêve tient-il une telle place dans votre roman?
Le ton est en effet donné dès la deuxième page : Avec le philosophe, certains répètent qu’ils sont parce qu’ils pensent. Ce n’est de loin pas l’avis de David Wise. Il ne lui suffit pas d’être parce qu’il pense. Surtout si c’est pour trouver des explications à tout ce qui existe au lieu de rien. C’est pourquoi, il serait plutôt d’avis de dire : « Je rêve donc je suis. » (p.10)
Le rêve est une réalité puisqu’il est partie constituante de l’activité psychique. Il s’en suit que l’imaginaire ne s’oppose guère au réel : il en dessine l’empreinte, et lui fait parfois la surprise de se glisser en lui. Rêve et Réalité sont deux pôles entre lesquels circule le courant psychique. Dans le jeu de miroirs du kaléidoscope de l’inconscient, le rêve décloisonne le conscient et lui donne l’épaisseur ou la profondeur dans lesquelles est perçu le réel et se développe l’action.
Dans la fable que raconte Yxsos ou le Songe d’Ève, tous les personnages rêvent, au même titre que la fiction se nourrit de l’imaginaire. Les rêves de David lui dessinent ses désirs, celui de Marie lui révèle les images de désolation et de menace que la réalité du Sycomor fait planer sur l’humanité, celui de Jessica lui impose l’angoisse qu’implique la vision d’un humanité exclusivement féminine dont fantasme Kate.
Seule Kate, il est vrai, ne rêve pas. Dans la construction du roman, cette option a pour but d’indiquer qu’au lieu de circuler en boucle comme un Gulf stream entre la surface et les profondeurs, l’énergie psychique de Kate est figée dans la paranoïa, vouée de façon unidirectionnelle au vouloir de sa personnalité exaltée dont la folie et la violence ont dévoré l’être. Rêver est pour Kate un inaccessible palindrome, même si, pour elle, le mot rêve relève d’Ève.
Yxsos fait un constat bien pessimiste sur l’évolution du rapport entre les hommes et les femmes. Est-ce le reflet de la réalité qui nous entoure ?
Une évolution remarquable a bien évidemment eu lieu et se poursuit dans les sociétés occidentales, si bien qu’en limitant le constat à la proche réalité qui nous entoure aujourd’hui, Yxsos peut sembler avoir un regard pessimiste. C’est cependant faire preuve d’une évidente myopie. Déplacez-vous de quelques centaines de kilomètres au Sud et/ou à l’Est, élargissez votre vision en consultant une documentation spécialisé[1][2], et vous constaterez que sous le prétexte de prétendues traditions souvent entretenues par des craintes religieuses complices d’abus de pouvoir masculins aussi nombreux qu’hypocrites, bien des sociétés, de multiples cultures, continuent de broyer la dignité, l’intégrité, la sécurité et la liberté des femmes en ne leur laissant aucune chance d’être considérées comme les égales des hommes. Ne se voulant ni une histoire du féminisme, ni un brûlot revendicateur, Yxsos ou le Songe d’Ève a plutôt l’ambition de rendre hommage au génie féminin au travers d’une fable. Celle-ci use de la métaphore pour raconter comment l’intelligence, la patience et l’amour d’une femme parviennent à enclencher un processus de changement, alors que les valeurs masculines dont relève la violence radicale utilisée par une autre sont vouées à l’échec.
Yxsos est un roman d’anticipation. Pourrait-on craindre que les événements décrits dans votre roman se produisent un jour?
Pas plus, me semble-t-il, que d’imaginer se faire plus grosse qu’un bœuf lorsqu’on est une grenouille. Rien ne prouve que les connaissances et la technologie actuelles puissent rendre possible ce qui menace l’humanité dans Yxsos : l’essentiel de la réponse à cette question est traité à la rubrique de mon blog intitulée “De la science à la fiction”. Et même si les techniques de biologique moléculaire constituent un terrain fertile aux fantasmes, rien ne prouve que cette grenouille-là puisse se faire aussi grosse qu’un bœuf, pour la simple, mais néanmoins fragile raison, qu’elle n’a jamais essayé. Quant aux éléments de génétiques qui relèvent de donnée scientifiques inexistantes ou erronées, ils ne sauraient donc être craints, sauf en ce qui concerne leur charge symbolique. C’est là qu’apparaît la question qui sous-tend celle que vous me posez : quels sont les rapports entre la science-fiction et la science. Etant donné qu’il n’y a pas de science sans la fiction indispensable à l’élaboration des hypothèses scientifiques, la science-fiction apparaît comme la matrice des thèses scientifiques élaborées par la confrontation de l’hypothèse avec les résultats de l’expérimentation. Plus généralement encore, la science-fiction est un des éléments cardinaux de l’imaginaire. Inventive et éclairante, elle englobe le réel et en extrapole les possibilités.
Vous avez une belle carrière médicale derrière vous : Vous avez été notamment Chef du Département de gynécologie-obstétrique, Directeur médical du Centre Hospitalier Universitaire Vaudois et Professeur à la Faculté de Médecine de Lausanne. Qu’est-ce qui vous amène à présent à l’écriture ?
L’activité médicale, hospitalière et académique, qui m’a intensément occupé durant près de quarante ans, ne m’a jamais éloigné de la lecture, et la lecture a certainement contribué à me conduire, depuis longtemps déjà, à l’écriture. D’abord sous forme de correspondance et de journal, puis du récit au roman, en passant par la nouvelle.
Trouver le mot juste, c’est déclencher une grisante illumination plutôt qu’un fugace feu-follet lorsque le mot ne parvient pas à se cristalliser avec ses voisins. Les dictionnaires sont des mines de trésors, et les lettres de l’alphabet en sont les sésames : il suffit de constater qu’avec quatre lettres seulement, le code génétique écrit, détermine et fait évoluer toute forme de vie, pour réaliser la puissance de l’écriture qui, en disposant de vingt-six signes alphabétiques à combiner entre eux et avec des espaces, décrit, raconte, explique, fait percevoir, ressentir ou imaginer le monde passé, présent et parfois à venir. Par ailleurs, mais toujours dans le contexte de ma vie de médecin, l’écriture s’est avérée être pour moi tantôt une source d’énergie ou d’apaisement, tantôt un viatique, parfois un rempart face aux problèmes souvent dramatiques que j’avais à annoncer aux malades, et que je contribuais à porter avec eux. En ce qui concerne plus particulièrement Yxsos, il est évident que les milliers de femmes que j’ai pu écouter au cours de ces années – et auxquelles je rends hommage en les remerciant – auront exercé une influence majeure sur mon intérêt pour la condition féminine. Et ceci d’autant plus que mon choix de devenir gynécologue-obstétricien avait été motivé par le souhait de participer à l’extraordinaire mutation personnelle et sociale induite, à l’époque de mes études médicales, par l’avènement du contrôle de la fertilité et en particulier de la contraception.
Quels sont vos projets d’écriture pour la suite ? Pensez-vous persévérer dans la science-fiction ou comptez-vous explorer d’autres domaines ?
Non, la science-fiction a été pour moi un moyen, et pas une fin. Je n’exclus pas, bien sûr, d’y revenir. En ce moment, je suis occupé à l’écriture des quelques pérégrinations mentales qui ont traversé mon esprit au cours d’un tour du Léman à pied et en solitaire. Par ailleurs, un récit explorant les arcanes d’une certaine forme d’auto-fiction se sent actuellement prêt à sortir de son tiroir. Ensuite ce sera un autre roman dont n’ai pas encore fait totalement connaissance, et que je suis en train d’apprivoiser.
[1] Joni Seager, Atlas des femmes dans le monde, 2003, Éditions Autrement
[2] Le livre noir de la condition des femmes, Dirigé par Christine Ockrent et coordonné par Sandrine Treiner, 2006, Éditions XO.
Revue de presse:
- Nouvelle inédite de Pierre De Grandi, parue dans Le Temps culturel du samedi 31 décembre: