- Plaisir de lire: quels vont être les temps forts de la Fondation Bodmer cette année ?
Nicolas Ducimetière* : En raison des décalages de planning imposés par la pandémie, l’exposition La Fabrique de Dante, unique célébration en terre francophone des 700 ans de la mort du grand poète italien, demeurera encore à l’affiche ces prochains mois, occasion rêvée de redécouvrir cet immense auteur de la littérature mondiale. Dès le mois de mars 2023, ce sont les Trésors enluminés de Suisse qui seront à l’honneur, avec les cent plus beaux manuscrits médiévaux conservés à la Fondation Bodmer, mais aussi dans des bibliothèques de toute la Suisse : ces fleurons, remontant pour certains à la fin de l’Antiquité, seront pour la première fois réunis dans le même espace muséal pour quatre mois, avec toute une série d’événements, de week-ends thématiques médiévaux, d’ateliers de médiation et autres surprises (dont la visite 3-D d’une abbaye reconstituée du Chablais savoyard).
- PL: quelle est la place du patrimoine suisse dans les collections de la Fondation, et plus particulièrement des livres ou manuscrits édités dans les cantons suisses?
Nicolas Ducimetière: Le concept de la collection bodmérienne est centré sur la « Weltliteratur », autrement dit les textes fondamentaux de l’humanité. Nos rayons « Helvetica » sont donc placés sous ce signe, avec peu d’éléments purement nationaux, mais plutôt des manifestations de la littérature mondiale en Suisse. Cela passe notamment par de nombreuses éditions de textes antiques sortis des presses humanistes de Bâle ou Genève à la Renaissance. Bien entendu, les manifestations suisses du protestantisme, de Zurich à Genève, sont très présentes, à travers les éditions originales de Calvin, de Zwingli et des autres réformateurs. On notera enfin un intérêt de Bodmer pour les albums chromolithographiés du XIXe siècle (paysages ou costumes suisses), ainsi que la présence de quelques volumes curieux (comme le Index memorabilium Helvetiae de Johann-Jakob Wagner, le premier « guide touristique » de la Suisse, paru à Zurich en 1684).
- PL: quels sont actuellement vos livres de chevet?
Nicolas Ducimetière: Ils sont souvent nombreux ! Actuellement, en cours de lecture, il s’agit du Talon de fer de Jack London (un roman dystopique prenant et trop méconnu), de l’essai L’Homme qui aimait trop les livres de Allison Hoover Bartlett, et du recueil Le Capitaine Burle d’Emile Zola (qui contient des nouvelles poignantes).
- PL: quel est le livre que vous offrez souvent à des amis?
Nicolas Ducimetière: Le Nom de la Rose d’Umberto Eco, qui est cher au cœur de tous les médiévistes et de tous les bibliophiles !
- PL: connaissez-vous les collections de Plaisir de Lire, qui fêtera ses 100 ans en 2023 et doit sa création au grand mouvement que la Suisse a connu au début du XX ème siècle en faveur des sociétés de lecture?
Nicolas Ducimetière: Oui, bien entendu ! L’action de « Plaisir de Lire » a, au fil du temps, à la fois mis en avant le patrimoine littéraire « classique » et profité à la création littéraire contemporaine : faire cohabiter ces deux objectifs était déjà au cœur du projet de notre fondateur Martin Bodmer (1899-1971), à la fois collectionneur d’éditions anciennes et ami et mécène d’écrivains de son temps. C’est une notion qui nous tient toujours très à cœur à la Fondation Bodmer !
- PL: auriez-vous envie de nous citer un des livres édités par Plaisir de Lire que vous avez aimé?
Nicolas Ducimetière: Mon choix se portera sur une publication assez récente de votre maison : Le Retour de Phidias de Julien Burgonde. Centré sur la figure de Phidias et se déroulant en partie dans les milieux muséaux, ce roman m’avait attiré par son mélange d’histoire et de science-fiction, portant aussi des notions de bioéthique (un aspect que nous avions abordé à la FMB dans notre exposition Frankenstein, créé des ténèbres en 2016).
*Nicolas Ducimetière est vice-directeur de la Fondation Bodmer depuis 2012. Précédemment conservateur au musée Barbier-Mueller, il a présenté les fleurons de cette prestigieuse bibliothèque (la plus importante collection privée de poésie de la Renaissance), lors de l’exposition Mignonne, allons voir… (Fondation Martin Bodmer, puis château de Chantilly), accompagnée d’un ouvrage du même nom (2007). Historien du livre et des bibliothèques, auteur ou éditeur d’études et d’articles sur la poésie Renaissance ou la bibliophilie (dont Poètes, princes & collectionneurs [2011]), il a assumé plusieurs commissariats d’exposition, dont Alexandrie la Divine (2014), L’Histoire à la une (2014), Frankenstein, créé des ténèbres (2016) et Les Routes de la traduction – Babel à Genève (2017). Vice-président du conseil de la Fondation Barbier-Mueller pour l’étude de la poésie italienne de la Renaissance (Université de Genève) depuis 2006, membre de la Commission suisse pour l’UNESCO (Département fédéral des Affaires étrangères) depuis 2016, président de la Société littéraire de Genève depuis 2021, il a été reçu chevalier dans l’Ordre des Arts et Lettres en 2010. Il est marié et père de deux enfants.