Histoire du fermier insatisfait
Nouvelle inédite de Catherine Bichon, lauréate du concours 2020 sur le thème de l’ « Histoire du soldat » organisé par les Editions Plaisir de Lire en partenariat avec la Revue des Citoyens des Lettres.
Les 6 lauréats de ce concours nous présentent leur version revisitée de cette oeuvre centenaire dans le recueil à télécharger gratuitement ci-dessous.
Il avait neigé toute la nuit, les champs et les buissons disparaissaient sous une houppelande blanche. Du haut de la colline, Paul contemplait le paysage familier, aujourd’hui hostile sous les rigueurs de l’hiver. Il revenait de la ville, ses pieds étaient douloureux, ses doigts gelés et il n’avait pas un sou en poche, mais il lui tardait de revoir sa pauvre mère. Il hésitait pourtant à descendre le chemin qui menait à la vallée et à la ferme familiale. Comment lui annoncer que personne n’avait voulu l’embaucher ? Nombreux étaient les fermiers qui avaient souffert de la grave sécheresse qui sévissait depuis trois étés et avait ruiné les récoltes. On essayait de s’employer à la ville car il devenait impossible de vivre de ces pauvres terres que les riches aristocrates mettaient à leur disposition, contre le prix de leurs récoltes, après déduction d’une partie trop modeste pour vivre. Eux, les Lords, ils avaient des réserves. Et au pire, ils pouvaient acheter ce qu’ils voulaient sur les marchés de Londres. Le comte de Bridgetstown, à qui appartenait son lopin de terre, avait déjà prévenu Paul qu’il ne supporterait pas une troisième saison sans revenu, et qu’il songeait à le remplacer. Ses quatre autres fermiers s’en tiraient fort bien, pourquoi pas lui ? Le pauvre Paul n’en savait rien. C’est pourquoi il avait décidé, avant que le couperet final ne tombât, d’aller voir à Londres s’il ne pouvait pas se placer. On disait qu’à la ville, tous les pauvres trouvaient du travail facilement. Ce ne fut pas le cas. Les misérables devenaient trop nombreux… Quel fils était-il ? Quel mari ferait-il ? Il n’était qu’un bon à rien…
Il avait si froid. En descendant, il y avait la vieille auberge au bas de la colline. Il pourrait s’installer près des chevaux pour profiter de leur chaleur. Mais finalement, peut-être ferait-il mieux de mourir de froid, là dans la neige. Tous ses soucis disparaîtraient. Le père de Betty, sa fiancée, était un homme bon. Il accueillerait sa mère dans sa famille. Et Betty pourrait se marier avec un fermier plus méritant, qui saurait assurer son avenir.
Mourir. Il n’y avait plus que ça.
Alors qu’il en était là de ses tristes réflexions, il aperçut un jeune homme qui venait vers lui. Un très beau garçon, vêtu noblement, et notamment d’un manteau de drap épais et garni de fourrure. Il s’avançait vers lui avec un large sourire et Paul pouvait mieux distinguer son visage. Un grand front, des cheveux blond doré, des yeux d’un bleu extraordinaire, des traits parfaitement réguliers.
– Et bien mon ami, lui dit le bel inconnu, que faites-vous dans ce chemin par une journée aussi froide ?
– Et vous, Monsieur ? demanda Paul. Moi je ne suis qu’un pauvre hère, sans le moindre sou pour me réchauffer avec une soupe. Mais vous, vous devriez être auprès d’un bon feu de cheminée, avec du thé bien chaud.
– Oh moi, vous savez, je ne crains ni le chaud ni le froid. Tenez, mon ami, asseyez-vous donc sur cette roche. Discutons. Je vous prête mon manteau pour que vous puissiez vous réchauffer.
L’homme se défit de son vêtement qu’il posa sur les épaules de Paul et s’assit près de lui. Lui restait en chemise, par ce froid glacial, et c’était un peu troublant.
– Que faites-vous dans la vie, l’ami ? demanda-t-il.
– Je suis… j’étais fermier. Mais je suis ruiné et je ne trouve pas d’emploi à la ville.
– Ah. Les temps sont durs en effet, surtout pour certains. Ce n’est pas très juste. Qu’en pensez-vous ?
– Non, ce n’est pas juste. Mais c’est comme ça. Nous devons accomplir la destinée que Dieu nous choisit.
Le jeune homme grimaça :
– Voilà bien qui est encore plus injuste ! Ce Dieu est cruel, pourquoi en privilégie-t-il certains et pas d’autres ? C’est tout à fait immoral.
Paul regarda son interlocuteur avec surprise. Jamais il n’avait entendu pareille chose de toute sa vie. Dire du mal de Dieu… Le beau jeune homme éclata de rire.
– Et que diriez-vous si moi je changeais les règles ? Si je faisais de vous un homme riche ?
Paul haussa les épaules. Le jeune homme le transperça de son regard d’un bleu fascinant.
– Je possède quelques petits talents, continua l’inconnu. Aimeriez-vous être riche et heureux ?
– Qui ne le souhaiterait ?
– Je ne le propose qu’aux désespérés qui acceptent un pacte avec moi.
– Qui êtes-vous donc ? Un magicien ?
– Je suis le Diable.
Paul le regarda, très effrayé. Mais le jeune homme souriait et son visage exprimait la plus grande douceur.
– Vous vous moquez de moi ?
– Pas du tout. Je vous offre la richesse et vous, vous me donnez votre âme.
– Que voulez-vous dire ?
– J’accompagnerai chacun de vos pas. Votre âme sera à moi pour toujours. Et lorsque vous mourrez, elle n’ira pas au paradis, chez l’Autre. Elle ira en enfer.
– Je ne suis pas sûr de vouloir aller en enfer.
– Vous savez… ce qu’on en dit est très exagéré. Au paradis, c’est très calme : tout n’est qu’harmonie, gentille musique, couronnes de fleurs, danses légères… je crois qu’on s’y ennuie un peu. Chez moi, on s’amuse beaucoup plus. Imaginez un peu : en enfer, les sept péchés capitaux ne sont plus interdits, vous pouvez faire absolument tout ce que vous voulez ! Vous pouvez être gourmand, aimer les jolies filles, vous mettre en colère contre votre voisin, paresser au bord de l’eau sous le soleil…
Paul dut reconnaître que cette description était tentante. Et puis l’injustice de son sort commençait à lui peser grandement. Après avoir tant travaillé, ne pouvait-il enfin accéder au bonheur ? Pourquoi seuls les gens bien nés pouvaient-ils vivre dans l’opulence et ne faire que des choses agréables ? Cela n’avait aucun rapport avec vos efforts : les courageux pouvaient être pauvres et les paresseux immensément riches. Dieu était responsable de cet état de choses. Le Diable semblait plus conscient des réalités du monde…
– Je suis d’accord, dit Paul. Au point où j’en suis…
– Bravo, signez ce papier ! répondit le jeune homme en tirant de sa poche une feuille, une plume et un encrier. Puis il ajouta :
– Et voici mon livre magique. Suivez scrupuleusement toutes ses indications et vous serez le plus heureux des hommes pendant de très nombreuses années.
Cette étonnante rencontre dura environ une heure. Puis le jeune homme sembla s’évanouir dans les airs, tandis que son rire égrenait encore quelques notes joyeuses. Paul restait là, tremblant, les pieds nus dans ses chaussures trouées. Il lut la première ligne du livre, qui lui proposait de fouiller dans ses poches, ce qu’il fit. Et il y trouva des poignées de pièces d’or… Il n’en croyait pas ses yeux. Il allait de ce pas se rendre à l’auberge pour faire un festin. Puis il ferait bâtir une maison pour sa mère et sa fiancée, Betty. Le Diable était un saint homme. Si vous me permettez l’expression.
Paul entra tout guilleret dans l’auberge mais ne reconnut pas son vieil ami Larry. Celui qui le remplaçait lui annonça qu’il était mort depuis deux ans, ainsi que son épouse, dans une épidémie de grippe.
– Mort il y a deux ans ? Mais vous plaisantez ! Je l’ai croisé il y a un mois juste avant de partir pour Londres.
– C’est comme je vous le dis, Monsieur.
Interloqué, Paul s’attabla néanmoins et prit un solide repas. Puis il négocia l’achat d’un cheval et d’un manteau avec un marchand.
Paul se rendit alors à la ferme, sa mère n’était pas là. Une épaisse couche de poussière recouvrait les quelques meubles, le toit percé laissait la neige tomber au sol.
Il se rendit vers la maison des parents de Betty, qui s’en sortaient beaucoup mieux que lui ; leur terre était de meilleure qualité et la rivière passait tout près de la maison, ce qui était vraiment une chance.
Lorsqu’il frappa à la porte, Paul ne s’attendait pas à être accueilli directement par son futur beau-père. Qui fronça les sourcils en le voyant.
– Te voilà, toi ! Et où étais-tu donc passé ?
– Eh bien j’étais à Londres, ainsi que je vous l’avais expliqué, pour trouver du travail.
– Et il t’a fallu tout ce temps avant de te manifester ? Nous te croyions mort… Trois ans ! Tu es parti trois ans ! Est-ce que tu te rends compte du chagrin que tu as causé à ma fille ?
Paul ne comprenait pas. Le temps qu’il avait passé avec le Diable était-il différent de celui des hommes ? Trois ans ?
– Est-ce que ma mère est là ? demanda Paul.
– Seigneur Dieu ! Tu n’es pas au courant… Voilà ce que c’est de ne donner ni nouvelles ni adresse… Ta pauvre mère est morte de la grippe, comme les aubergistes, et comme beaucoup de monde par ici.
– Et… Betty ?
– Betty. Eh bien Betty, vois-tu, en a eu assez de t’attendre, de guetter des lettres qui ne venaient pas. Elle a beaucoup pleuré puis elle a épousé le gars Fitzroy. Ce qui me ravit, car j’ai été bien déçu par toi, mon garçon…
Paul devint blanc… et sentit la colère monter en lui, autant que le chagrin. Voilà comment était récompensée sa confiance dans le Diable ? Il lui avait promis le bonheur et il apprenait que sa mère était morte et sa fiancée mariée à un autre.
Il s’éloigna. Inutile de pleurer. Ce n’était qu’une petite gardienne de vaches. Avec la fortune qu’il aurait bientôt, il serait digne d’une princesse.
Il monta sur son cheval et reprit la route vers Londres. Il consulta son livre magique qui lui dit « Rends-toi chez Farmer & Cie, Butterfly Street, près de la cathédrale Saint-Paul ». C’était une petite boutique très modeste, avec toutes sortes d’objets hétéroclites et Paul se demandait bien ce qu’il allait trouver là-dedans. Mais le propriétaire, et unique vendeur, semblait le connaître :
– Mon cher Paul ! J’attendais votre venue ! Par ici, cher jeune homme. Nous allons fermer la porte pour être tranquilles et je vous expliquerai tout.
Il tourna son écriteau « Fermé » afin que nul ne soit tenté d’entrer, puis il tira les rideaux et l’entraîna dans une pièce, à l’arrière.
– Asseyez-vous, Paul. Hum… devrais-je dire Monsieur le Comte ? Car vous êtes comte, maintenant, oui, oui !
Le vieil homme avait des yeux pétillants et se frottait les mains de contentement.
– Voilà, j’ai préparé tous les documents ; si par hasard un jour quelqu’un doutait de votre titre, vous avez là la description de toutes vos terres et l’aval de Sa Majesté. Voici l’adresse de votre banquier. J’ai fait ouvrir un compte à votre nom. Vous y disposez de dix millions de livres.
Paul écarquilla les yeux et manqua de s’étouffer avec le thé que son hôte lui avait servi.
– Oui, je sais, ça surprend ! dit le vieil homme en riant. Notre Maître ne fait pas les choses à moitié ! Dites-moi… qu’allez-vous faire de tout ça ?
– Eh bien… je vais m’acheter une maison…
– Oh, avec votre fortune, vous pouvez même en acheter plusieurs. Je vous suggère un hôtel particulier à Londres et puis une ou deux résidences d’été à la campagne. Il vous faudra aussi plusieurs équipages et des domestiques, bien sûr.
Paul se mit à vivre royalement et se mit à aimer beaucoup sa nouvelle existence. Son titre lui ouvrait toutes les portes ; bien que personne jusqu’à présent n’eut jamais entendu parler d’un quelconque comte de Lavenham, tous s’enorgueillissaient de le compter parmi leurs amis car il se montrait fort généreux. Les femmes papillonnaient autour de lui, avec leurs grandes jupes de soie, rêvant de devenir comtesse, et collectionnaient avec passion les bijoux qu’il leur offrait. Sa demeure était l’une des plus belles de la capitale, sa réputation grandissait et il organisa même un bal où le prince de Galles et son épouse, ainsi que quelques amis à eux, l’honorèrent de leur présence.
Mais Paul commençait à s’ennuyer. Il pensait souvent à Betty et même si son amour pour elle s’était éteint, il se souvenait avec précision des sentiments qu’il éprouvait alors, bonheur, désir, des projets par milliers. Aujourd’hui, les femmes qui gravitaient autour de lui n’avaient qu’un seul but : devenir comtesse et posséder de nouveaux chapeaux. Mais il ne tombait pas amoureux et il voulait retrouver cette merveilleuse sensation qu’il avait connue auprès de Betty.
Il avait acheté tout ce qu’il était possible d’acheter. Il voyageait souvent et loin. Il avait une collection d’armes à feu splendide, une bibliothèque si riche en ouvrages rares que le prince de Galles se déclara envieux, et des œuvres des plus grands peintres du temps.
Mais il se sentait vide, vide. Où était le bonheur promis par le diable ?
La moindre de ses envies était anticipée par son personnel. Il pouvait séduire n’importe quelle femme. Il pouvait prendre n’importe quel bateau… C’était lassant. Rien ne le satisfaisait vraiment. Il se couchait avec un grand sentiment de frustration dans le cœur. Son père, lui, travaillait et s’endormait le soir fatigué mais heureux de la tâche accomplie. Et puis son grand-père avant lui. Et son arrière-grand-père. Il se prit à regretter son métier d’autrefois. Avec tous les ouvrages qu’il avait pu lire sur le sujet, il s’en faisait aujourd’hui une autre idée et ne manquait d’ailleurs pas d’aller sur ses terres, pour discuter avec ses fermiers, et introduire les nouvelles méthodes que la technique moderne proposait désormais. Il les trouvait bien plus chanceux que lui, ils avaient un travail gratifiant (il veillait à bien les payer et assurait tous leurs besoins de santé), une famille aimante, et ils se réjouissaient le dimanche, après la messe, dans les foires, les fêtes ou les bals de campagne. Des joies simples pour des âmes simples. Mais il n’avait plus d’âme…
– Je voudrais être l’un de mes fermiers, soupira-t-il.
Alors le diable apparut, l’air très fâché.
– C’est bien la première fois qu’on me fait pareil affront, dit-il. Je vous ai tout donné et vous vous ennuyez ?
– Je vous ai vendu mon âme… et je crois qu’elle me manque. Rendez-la-moi !
– Comment ça ? Vous êtes prêt à perdre toutes vos richesses ?
– Oui. J’irai acheter une terre et je bâtirai ma ferme de mes mains…
– Et avec quoi ? l’interrompit le diable avec un sourire ironique. Vous n’aurez plus d’argent pour vous acheter quoi que ce soit…
Paul hésita puis répliqua :
– Eh bien envoyez-moi en enfer, je ne veux plus de cette vie…
– Vous êtes étrange, mon jeune ami, très étrange…
– Allez ! Cassez la routine : rendez une âme à son propriétaire.
– Non, pas question.
– Allons ! Jouons-la aux cartes !
– Aux cartes ? Mais je ne sais pas jouer aux cartes !
– Mais si bien sûr ! Le Diable sait tout, le Diable connaît tout. Prenons une bonne bouteille et jouons, sans façons ! Si je gagne, vous me rendez mon âme, cinquante guinées pour redémarrer, et on n’en parle plus.
Alors ils jouèrent et le Diable apprécia fort le whisky, qu’il n’avait encore jamais goûté. Il en but trop. Il était fort éméché, car, sachez-le, le diable aussi a ses petites faiblesses.
Enivré, il perdit… Mais il déclara qu’il ne pouvait débloquer une âme comme ça, qu’il fallait patienter quelques jours.
– Alors… concéda Paul, accordez-moi un petit cadeau en compensation.
– Hum… je vous donne le pouvoir de guérir. Mon vieil Ennemi se plaît à envoyer des maladies… pour récupérer des âmes dévouées à son culte. Contrecarrons un peu ses projets.
– Tiens, pourquoi pas ? Ça peut être amusant.
– Je reviendrai dans deux semaines vous rendre votre âme et vous apporter vos cinquante guinées. Mais n’oubliez pas que d’ici là vous m’êtes attaché ; vous ne devez sous aucun prétexte quitter le royaume sans ma permission. Je déteste, quand je travaille dans une région, devoir courir après mes possessions au bout du monde.
Paul promit. Il quitta Londres sans regret et partit dans sa résidence de campagne, afin de se réhabituer à la vie rurale et songer à ses projets.
Mais son don de guérison, qu’il avait testé sur ses domestiques, fut bientôt connu de toute la région et les malades affluaient. C’est ainsi qu’il fut appelé par son ancien propriétaire, le comte de Bridgetstown, dont la fille unique, Amy, était, selon les médecins, aux portes de la mort, sans qu’on sût exactement de quoi elle souffrait. Paul se rendit immédiatement à son chevet et découvrit la plus angélique jeune fille qu’il eût jamais vue. Son cœur se gonfla d’un amour passionné. Amy retrouva dès le lendemain matin sa santé et Paul fut fêté au château durant toute une semaine, pendant laquelle il apprit à mieux connaître l’adorable Amy et comprit qu’elle partageait ses sentiments. Il dut pourtant lui expliquer qu’il était ruiné et que dans quelques jours, il ne possèderait plus rien. Mais Amy s’en moquait, elle était prête à l’épouser, même si son père s’y opposait. Elle rêvait d’une existence simple et banale, loin des mondanités et des jalousies effrénées. Le comte refusa. Il avait été séduit par l’apparence de ce jeune homme, ses vêtements très élégants, son magnifique cheval… et sa réputation de « comte guérisseur ». Mais un comte ruiné, c’était une autre affaire, vous pensez bien.
Les deux amoureux décidèrent de partir s’installer en Italie, au soleil, là où les fruits et les légumes poussaient à profusion. Ils auraient une petite ferme et vivraient heureux jusqu’à la fin de leurs jours avec leurs nombreux enfants.
Le jour de leur départ, le Diable apparut à Paul, les mains sur les hanches, le visage déformé par la rage :
– Vous avez déjà oublié votre promesse ? Vous vous apprêtiez à fuir le pays ? Vous allez rejoindre l’enfer, mon cher, et tout de suite !
– Non, non ! C’est un simple petit oubli. Vous devez me pardonner.
– Pardonner ne fait pas partie de mon vocabulaire. Vous allez connaître les tourments de l’enfer plus tôt que prévu pour m’avoir désobéi.
– Mais… l’enfer… ne m’aviez-vous pas dit que c’était un endroit amusant ?
Le diable ricana.
– Ne sais-tu donc pas que je suis le plus grand des menteurs ! L’enfer est un lieu où l’on pleure tout le temps les êtres aimés et perdus… On erre partout entre les deux mondes pour les retrouver… mais personne ne vous voit. L’enfer, c’est le pays des fantômes, désespérés, pitoyables, sanglotant pour l’éternité.
Paul disparut, se transformant immédiatement en spectre, et se retrouva dans sa belle maison de Londres où les nouveaux acheteurs commencèrent bientôt à se demander d’où venaient ces gémissements…
Le Diable était enchanté. Une âme de plus. Une de moins pour l’Autre ! Les hommes étaient si bêtes, si idiots, si méchants, qu’il triompherait bientôt de son Ennemi de toujours, qui avait été persuadé que sa créature aurait toutes les perfections. Il était loin du compte, et lui, le Diable, il allait gagner la partie.
– Une de plus, une de plus ! chantait-il. Tu seras bientôt vaincu, tu devras me donner la totalité de l’Univers.
Ce à quoi l’Autre répondit :
– Match nul, pauvre imbécile. J’ai moi aussi gagné une âme dans cette histoire.
– Mais laquelle ? demanda le diable.
– Celle de la douce et pure Amy. Elle est morte de chagrin ce matin.