Plus vivant qu’au sommet – Concours premiers écrits
Nouvelle inédite de Frédéric Martin, lauréat du concours 2018 sur le thème du « Monde numérique » organisé par les Editions Plaisir de Lire avec le soutien de la CIIP.
Les 5 lauréats de ce concours ont suivi 3 ateliers d’écriture organisés par Mme Annik Mahaim.
Plus vivant qu’au sommet
La simplicité s’imposait d’elle-même. Il « swipait » naturellement. Quelques mois plus tôt, on le considérait encore comme un nouveau-né. Pourtant, ce matin, il répétait ce geste qui consistait à déplacer son index potelé d’un bord à l’autre d’une tablette dernier cri que son père avait laissé choir sur le canapé, le temps de se servir un café. Sa surprise, mélangée à cette fierté que les parents ressentent lors de chaque première de leur progéniture, s’estompa rapidement. Il saisit le garçon sous les aisselles, l’attira contre lui et l’installa dans ses bras. Il s’inséra entre les coussins avec son fils sur les genoux et entreprit de l’instruire des possibilités de son nouveau gadget. Le garçon, du haut de ses quatre ans, se contentait de reproduire les gestes de son père. Le mimétisme constituait une méthode d’apprentissage éprouvée.
Henri débutait son dimanche calmement. Sa moitié dormait encore dans la pièce attenante. Lorsqu’il sortait de leur chambre, il fermait délicatement les deux portes qui la séparaient de la pièce à vivre. De la sorte, il s’autorisait un moment privilégié avec son enfant et préservait le sommeil de sa compagne. Marie appréciait particulièrement la grasse matinée du dernier jour de la semaine. Bien sûr, elle s’achevait toujours lorsque Simon parvenait à franchir le sas de sécurité et se jetait sur elle pour l’embrasser. Henri ne parvenait jamais à garder un œil suffisamment attentif pour l’en empêcher. Marie le soupçonnait de relâcher sa surveillance intentionnellement. Il reprenait souvent cet adage : « La journée appartient à ceux qui se lèvent tôt ».
Le couple s’était rencontré cinq ans plus tôt. Elle, jeune avocate talentueuse, avait accepté de défendre Henri dans une histoire de bagarre à la sortie d’un bar. Alors qu’il n’avait que vingt-six ans, il avait été mêlé, bien malgré lui, à une rixe lors d’une soirée festive. Marie lui avait été fortement recommandée. Ainsi, ils s’étaient rencontrés pour la première fois devant un poste de police. Henri était entendu comme prévenu et Marie le représentait. Elle l’avait sorti de cette triste affaire sans mal et c’est ainsi que leur idylle avait débuté. Deux ans plus tard, la jeune femme annonçait à son compagnon, pour son plus grand bonheur, qu’elle était enceinte.
Simon se lassa rapidement de tapoter sur la tablette de son père et entreprit de sortir sa mère de sa torpeur. Henri enleva son bras, un petit sourire aux lèvres et Simon se faufila jusqu’à la première porte. Son père continua d’explorer sa nouvelle acquisition, en entendant son fiston franchir les remparts qui le séparaient de sa maman. Les dernières nouveautés implémentées par le constructeur propulsaient l’appareil digital dans l’avenir. Reconnaissance faciale et vocale, déverrouillage et paiement biométrique, transmission de données accélérée, autant de fonctionnalités rendant l’appareil encore plus indispensable, encore plus présent, encore plus prenant. Simon lâcha un cri qui renseigna Henri quant au réveil de sa femme. Il les entendait d’une oreille mais se concentrait sur l’application qu’il testait.
La porte grinça. Dans l’entrebâillement s’inséra la petite tornade juvénile suivie par Marie. Bien que l’allure de sa compagne trahît son réveil soudain, il la considéra comme au premier regard. Ses yeux noisette tranchaient merveilleusement avec sa crinière dorée. Un nouveau sourire modifia l’expression d’Henri qui délaissa son application pour accueillir sa bien-aimée dans ses bras. Simon s’accrocha aux pantalons de ses parents et se glissa entre les deux à la hauteur des hanches en émettant un petit cri de plaisir. Ses géniteurs l’intégrèrent avec bonheur à leur étreinte. L’instant de tendresse terminé, sans se concerter, ils entreprirent de préparer le petit-déjeuner. Chacun accomplissait une tâche qui paraissait bien définie. Simon s’élança vers l’un des nombreux tiroirs qui habillaient le bloc de cuisine et en retira trois protections de table rectangulaires. Il les disposa face aux trois chaises que la famille occupait ordinairement. Il repartit ensuite en courant auprès de son père, attrapant à nouveau son pantalon. L’enfant le dévisageait, le cou plié quasiment à l’équerre, pour capter le regard de son géant de père.
Henri s’accroupit et questionna le petit, essayant de deviner ses intentions :
-Tu aimerais m’aider à préparer les tartines ? formula-t-il l’air inquiet.
Simon hocha énergiquement de la tête, l’air satisfait. Son père fut soulagé de son interprétation réussie. Malgré ses quatre ans, l’enfant ne parlait pas encore. Il faisait montre de signes évidents d’intelligence mais ne parvenait toujours pas à formuler ses pensées. Cette situation devenait pesante au sein de la famille. Outre la préoccupation des parents, Simon s’énervait systématiquement lorsque ses désirs n’étaient pas comblés. Son incapacité à s’exprimer était source de crises régulières. Cette problématique occupait une place grandissante dans les discussions du couple et les conflits à ce sujet s’étaient multipliés au cours des semaines précédentes. Marie prônait l’intervention d’un spécialiste alors qu’Henri soutenait que la situation ne durerait pas. Sa compagne s’empressait alors d’étayer son avis par les centaines de « posts » dont les forums internet sur la question regorgeaient. Bien que les conseils délivrés par des parents en détresse sur le « net » ne trouvent aucune légitimité aux yeux d’Henri, il avait fini par accepter qu’ils consultent un psychologue pour apaiser la tension.
Il attrapa le marchepied qu’il rapprocha et déposa son fils sur ce promontoire en se plaçant juste derrière lui. Prenant les petites mains dans les siennes, il saisit un couteau argenté et entreprit de beurrer une tranche de pain au levain en expliquant la marche à suivre à Simon. Dans ces instants, aucune ombre n’entachait le bonheur parfait qu’avait construit le couple au fil des années. Quelques minutes plus tard, la famille s’installait autour de la table. Henri tentait de transmettre son intérêt pour sa nouvelle application digitale. Marie se montrait réceptive. La solution permettait d’intervenir sur toutes les sources de courant électrique de la maison par l’intermédiaire d’un réseau sans fil domestique centralisé.
-C’est incroyable ! lança Henri, s’enthousiasmant excessivement. Avec ce système, nous pourrions contrôler toutes les lumières depuis la tablette. Plus besoin de télécommande pour les stores ! Tu reçois une alerte lorsque tu oublies de fermer le frigo ou d’éteindre une plaque. Un optimisateur de courant autogéré inactive tous les appareils inutilisés. Nous pourrions réaliser des économies importantes sur nos factures d’électricité ! termina-t-il en gesticulant.
Henri avait tenté le tout pour le tout. Cette technologie nécessitait le raccordement de l’entier de l’électro-ménager de la maison vers un ordinateur central. Ces modifications étaient très onéreuses car il fallait ouvrir le sol et les murs pour installer les gaines qui accueilleraient les câbles. On ne pouvait pas utiliser les mêmes tubes que pour les courants forts et Henri le savait. L’habitation appartenait à Marie, elle l’avait fait construire une année avant sa rencontre avec Henri. L’édifice était un véritable projet de vie. Elle y avait mis tout son cœur. Son mari ressentait le plus grand respect pour cet accomplissement. Il savait néanmoins que son épouse serait réticente à éventrer le crépi, les peintures et le carrelage qu’elle avait si soigneusement accordés.
Il la sondait du regard, s’attendant à un refus catégorique. Elle le regardait d’un sérieux qui ne présageait rien de bon. Contrairement à ce qu’Henri pensait, Marie avait des connaissances approfondies sur le sujet. Elle était abonnée à des magazines spécialisés dans le domaine de l’habitat. Taquine, elle décida de ne pas céder. Elle ouvrit la bouche, s’apprêtant à donner sa sentence, hésita, puis asséna sur un ton sec :
-Ça ne me plaît pas du tout !
Elle ne put garder son sérieux et éclata de rire tant sa plaisanterie avait dépité son mari. Henri comprit qu’elle avait feint son désintérêt et se détendit.
-Lorsque la maison a été bâtie, ce type de technologie en était à ses balbutiements, commença-t-elle. Souhaitant attendre qu’elle évolue avant de l’installer, j’ai demandé que l’électricien tire les gaines utiles dans le but d’éviter de nouveaux travaux par la suite. Il suffirait d’y introduire le câblage pour accéder aux alimentations, termina-t-elle triomphante. Désolée, je n’ai pas pu m’empêcher de te faire marcher, ajouta-t-elle.
–Génial ! s’exclama son mari, malgré le mauvais tour que sa femme lui avait joué.
-Par contre, nous n’utiliserons pas ton application, rétorqua la propriétaire des lieux.
-Pourquoi ? s’enquit Henri, l’air déçu.
-Elle est déjà dépassée, fanfaronna Marie. Il existe une version que tu peux contrôler vocalement.
*****
Le lundi revenait sans cesse. Seul devant son bol de céréales complètes, Philippe tournait et retournait les faits dans tous les sens. Plus que tout, il aurait souhaité disposer de sa semaine à sa guise, mais il fallait survivre. Et ce satané lundi qui ne se fatiguait jamais et pointait le bout de son nez après un weekend bien rempli. Il se sentait coincé. Pour assouvir sa passion de la montagne, il devait travailler. Mais ce métier ne convenait plus à son état d’esprit. Comment avait-il pu choisir pareille voie quelques années plus tôt ? Il ne s’en souvenait plus. Ou plutôt, il s’en souvenait mais il préférait se le cacher, tant ce choix lui coûtait aujourd’hui. Il se remémora son cheminement.
Il avait commencé son apprentissage au début de la révolution numérique. L’ordinateur ! Une machine capable de calculer, de comprendre, peut-être un jour d’imiter la pensée des humains, voire même de réfléchir et de créer d’autres machines. Le mythe de l’intelligence artificielle prenant le pas sur l’humanité ne trouvait aucun écho à ses oreilles. Il considérait plutôt cette nouvelle technologie comme le sésame qui sauvegarderait l’être humain. Il avait été subjugué par l’infinité des promesses de l’informatique. Après quatre années passées à apprivoiser ces machines, son premier emploi, combiné à l’avancée technologique, avait absorbé son esprit. Son temps était consacré uniquement à son écran. Il programmait, il jouait. Puis vint internet, dernière pierre à l’édifice de son addiction au monde virtuel. Il se sentait heureux mais vivait complètement en marge de la société, sans même s’en rendre compte. Un dévouement si complet à son univers, qu’il devint un spécialiste reconnu dans le microcosme de l’informatique. Les seuls contacts humains qu’il acceptait concernaient ses projets en cours.
Alors que ses trente-cinq ans approchaient, un évènement malheureux vint bouleverser son quotidien. Son père décéda subitement lors de vacances au nord de l’Italie. Un infarctus avait eu raison de cette force de la nature. L’électrochoc ne résultait pas uniquement d’une prise de conscience de la fragilité de sa propre vie, mais aussi d’un simple fait : il ne comprenait pas d’où provenait la profonde tristesse qui minimisait son sentiment d’appartenance au monde virtuel. Son dernier échange avec son père remontait à plus de dix ans. Ils n’avaient eu aucun contact depuis leur dispute. Leur conflit portait sur son mode de vie. Il ne concevait pas que son fils fût autant attaché au monde des machines. Malgré leurs désaccords, malgré leur éloignement et malgré l’indifférence que Philippe avait cultivée durant des années, cette épreuve vidangea son cœur. Il n’y subsistait qu’un seul sentiment, celui d’avoir manqué quelque chose, d’être passé au travers d’un filet de bonheur sans même avoir tenté de s’y accrocher.
Depuis, son obsession pour la chose digitale s’était muée en un dégoût profond des technologies addictives. Il avait entrepris beaucoup de démarches pour retrouver une vie sociale, mais avec peu de succès. Sa famille lui tenait rigueur de son « blackout » de plus d’une décennie, il n’avait aucun ami ni aucun contact. Après quelques semaines de tentatives infructueuses pour recréer des liens avec ses semblables, il accepta la terrible réalité : il était devenu incapable de se socialiser. On ne revenait pas d’une traversée du désert aussi longue sans séquelles. Dans l’espoir de se ressourcer, il gagna le mayen familial qui n’avait plus été occupé depuis des lustres. Trois jours d’ermitage passèrent. Il commençait à s’ennuyer. L’illumination qu’il escomptait restait tapie dans l’ombre. C’est alors que, peut-être par ennui, ou peut-être par instinct, il se mit à marcher, d’abord quelques minutes, arpentant les chemins alentours, puis de plus en plus longuement, d’un côté et de l’autre, le long du bisse, en montée aussi bien qu’en descente. Les jours s’écoulaient, il trouvait de l’intérêt dans des choses anodines, comme le fracas de l’eau du torrent qui s’écrasait contre un rocher imposant, creusant une marmite hémicyclique d’une régularité inimitable. Une machine capable de créer une demi-sphère aussi parfaite s’échangerait à prix d’or. Il s’arrêtait parfois pour observer une fleur, ou les aiguilles d’un mélèze. Il avait appris, durant ses études, qu’on pouvait expliquer la forme d’une branche d’arbre grâce à la théorie des fractales, mais quel intérêt aujourd’hui ? L’émerveillement qu’il trouvait dans la simple observation des végétaux transcendait le pourquoi. Régulièrement, le craquement d’une branchette sous sa semelle obligeait un faon à détaler, traversant une clairière pour regagner la forêt protectrice, lui rappelant les instincts du monde animal.
Il s’agissait d’une révélation, non pas soudaine comme un éclair, mais graduelle. Il acheva sa métamorphose un matin d’automne. Au sommet du pan de montagne où se trouvait son logement, culminait une pointe qu’il considérait inconsciemment comme une sorte de gardien. Une masse si grande, si stable et si immuable qu’elle lui transmettait une sensation de sécurité. Au cours de son enfance, il scrutait déjà cet imposant rocher qui dominait toute la région et se sentait rassuré par le calme qu’il diffusait. Une sérénité s’imprégnait dans son subconscient dès qu’il s’en approchait. Il fallait le gravir.
Le matin venu, il partit tôt car la sente qui menait au sommet se changeait en fournaise lorsque le soleil était au plus haut. Le premier tiers de la piste serpentait sur un coteau forestier. Les mélèzes perdaient leurs épines. Elles brunissaient avant de couvrir le sol d’un tapis doré et dense. Des fleurs d’origine alpine bordaient les chemins. Dans ce décor merveilleux, Philippe gagna le sommet plus rapidement que prévu. Ses nombreuses balades des dernières semaines avaient eu raison de l’embonpoint pris assis sur sa chaise. Il se sentait de plus en plus fort et remarquait régulièrement un développement avantageux de sa musculature. Tout de même essoufflé, il déposa son sac à ses pieds, se retourna et fut percuté par la majesté de l’arc alpin à cette période. Un léger film blanc saupoudrait les plus hauts sommets. En toile de fond, le Mont-Blanc dominait les massifs alentours. Le soleil y abattait ses rayons qui fusionnaient avec les cristaux de neige en une éblouissante incandescence.
A cet instant, il sut qu’il était revenu de ces dix dernières années de solitude. Cette renaissance instilla une foule de sentiments dans son âme. Celui qui prédominait était le déchirement d’avoir perdu son père, lui qui l’emmenait à ce même mayen chaque été. Il devrait désormais vivre avec ce regret, celui de n’avoir pas appris à le connaître en tant qu’adulte, en tant qu’ami, en tant que compagnon de vie. Une promesse naquit. Il resterait fidèle à la nature et à cette montagne qui lui avait ouvert les yeux sur son existence. Il fondit en larmes et tomba à genoux, seul, mais décidé à rattraper le temps perdu. Il admira encore ce spectacle pendant un instant qui lui sembla durer plusieurs minutes puis, il décida de retourner à son point de départ et de reprendre sa vie exactement là où il l’avait laissée dix ans plus tôt.
Sorti de ses souvenirs, il se retrouva en face de son bol de céréales. Il avait tenu sa promesse ces cinq dernières années. Sa vie était bien remplie aujourd’hui, mais il fallait subvenir à ses besoins et les seules connaissances qui lui permettaient de se nourrir provenaient de son ancienne existence. Pour limiter son contact avec les ordinateurs, il avait trouvé un poste d’installateur-réparateur auprès d’une société qui fournissait des équipements intelligents pour les privés. Malgré ce retour à la technologie, il rencontrait beaucoup de monde et cet aspect l’aidait à tenir durant les huit heures et demie qu’il devait à son employeur. Néanmoins, le lundi matin sonnait le glas de ses escapades du weekend en montagne. Pendant que le riz soufflé crépitait sous son nez, il tentait de se convaincre de démarrer sa journée. Il imaginait souvent un scénario rocambolesque qui l’empêcherait de se rendre à son travail. Trop de neige, il ne pourrait pas sortir de chez lui pendant plusieurs jours. Le monde entier s’arrêterait. Plus de voitures dans la rue, un épais manteau immaculé assourdissant la pollution sonore, des enfants heureux en ensemble de ski, organisant des batailles de boules de neige. C’était son histoire préférée, mais elle ne se produisait jamais et le lundi revenait, inexorablement.
Au bout de quelques instants, la réalité reprit le dessus. Il finit par engloutir, en quelques cuillerées, son petit-déjeuner et consulta l’agenda électronique que contenait son smartphone. Son employeur l’avait forcé à s’en équiper et il avait fini par l’utiliser, mais avec parcimonie. Ce matin, il devait installer un système intelligent dans une maison se situant dans le village de Mischpe. Il s’agissait d’une petite bourgade, adossée au pied de la montagne, sur la rive droite du fleuve. Elle s’atteignait très aisément en voiture. Ce type de travail lui convenait parfaitement. L’ordinateur central était toujours programmé par un ingénieur de leur siège. Sa seule tâche consistait en l’installation de celui-ci et des liaisons aux instruments existants. Bien que peu compliquée techniquement, il œuvrerait pendant toute la journée pour calibrer cette connexion. Ses visites chez ses clients lui réservaient fréquemment de bonnes surprises. Il rencontrait régulièrement des gens agréables et dont les parcours de vie sortaient des sentiers battus.
Dix minutes plus tard, le ciel clair et les températures généreuses pour la saison avaient eu raison de sa mauvaise humeur. Philippe conduisit en sifflotant jusqu’à son objectif. La radio locale diffusait justement une publicité pour son entreprise. « Contrôlez votre maison depuis votre smartphone ! » arguait le spot. « Et nous piocherons allègrement dans votre porte-monnaie » ajouta-t-il en rigolant. Il parqua son utilitaire à droite de l’entrée, devant la gigantesque demeure grise haute de trois étages. Il sonna.
*****
Simon dévala les escaliers aussi vite que ses petites jambes et son sens de l’équilibre le lui permettaient. « C’est le technicien » précisa sa mère, sous-entendant qu’il ne devait pas s’attendre à voir son voisin. Il s’agissait d’un jeune garçon d’environ dix ans, avec qui il s’était lié d’amitié. Il s’annonçait régulièrement en sonnant à l’entrée de la maison familiale et distrayait son cadet avec bonheur. Ses parents voyaient la relation du garçonnet avec son voisin d’un bon œil. Simon ouvrit brusquement la porte et fit une révérence pour souhaiter le bonjour à son visiteur. Son comportement et son entrain auraient tiré un sourire au plus aigri des colporteurs. L’enfant invita l’installateur à monter d’un geste d’ouverture en direction de la rampe d’escalier, aussi bien que sa mère le lui avait enseigné. Elle mettait un point d’honneur à accueillir ses hôtes le plus agréablement possible.
Philippe s’émerveilla de la gentillesse de l’enfant. Il lui emboîta le pas jusqu’à l’étage supérieur, prenant soin de ne pas monter plus rapidement que la petite tête blonde. Simon le mena jusqu’à sa mère. Il se présenta à Marie. Elle lui proposa une tasse de café qu’il accepta avec plaisir. Son regard s’évada rapidement vers le haut. Il se tenait entre la cuisine et la pièce à vivre. Cette dernière était immense. Le toit y culminait à presque huit mètres d’un magnifique carrelage anthracite. Il prit la mesure des lieux. Il s’attabla et discuta avec sa cliente de ses attentes, en sirotant un Espresso bien tiré. La jeune maman était de compagnie agréable et Philippe se surprit même à la détailler pendant qu’elle lui exposait son projet. Elle semblait très exigeante. Il se concentra sur sa tâche. La propriétaire avait opté pour un système de qualité supérieure. Elle souhaitait contrôler l’ensemble de l’électroménager ainsi que les robinets par la voix. L’installateur rassura Marie quant à la faisabilité de son projet et proposa de débuter les travaux.
Après quelques minutes de préparation, il s’affaira de gauche et de droite. Il avait sous-estimé la taille de la demeure. La villa était gigantesque. Comment pouvait-on construire des murs d’une longueur pareille ? songeait-il en introduisant un câble dans une gaine. Il le poussait par son extrémité mais devait redoubler de persévérance et d’ingéniosité pour que le tressage métallique atteigne sa cible. Il affubla aussi les arrivées d’eau d’un dispositif autorisant la fermeture de la conduite. La toile d’araignée se développait peu à peu. Tous les satellites furent bientôt reliés à la console centrale qui trônait discrètement à l’angle de la pièce à vivre. Un écran tactile permettait de naviguer et de définir le paramétrage de l’installation. Philippe sollicita Marie pour les derniers réglages en milieu d’après-midi. Il fallait encore calibrer la reconnaissance vocale. Marie s’appliqua à prononcer très distinctement des phrases de plus en plus longues pour que la machine enregistre son phrasé et ses intonations spécifiques. Elle dut également introduire son nom ainsi que ceux des membres de la famille.
-Parfait, s’exclama le technicien. Il vous reste à nommer votre ordinateur central, poursuivit-il.
Cette dernière étape ne lui plaisait guère. Nommer un ordinateur le rendait quasiment vivant. Bien que le protocole de mise en marche obligeât cette étape, il exécrait à demander à ses clients de parler à un ordinateur comme à un humain. Son aversion pour la technologie reprenait le dessus. Mais le procédé exigeait que l’utilisateur transmette ses ordres selon une certaine syntaxe pour éviter tout malentendu. Il y avait lieu de prononcer le prénom du système central suivi de la tâche à exécuter. Marie choisit le prénom d’Elodie pour son ordinateur et lui attribua logiquement une voie féminine. Elodie était, de surcroît, connectée à internet. Philippe lui proposa d’en tester les différentes fonctionnalités. Marie s’amusa à allumer toutes les lumières, à ouvrir les robinets. Elle ordonna même à Elodie de lui faire couler un bain. L’installation semblait être un succès.
Marie remercia chaleureusement Philippe. Elle semblait aux anges. L’installateur reconnut qu’une maison de cette classe méritait ce genre de technologie. La facture parviendrait à ses clients dans les prochains jours. Pour la première fois peut-être, l’investissement consenti correspondait au standing de la demeure. Satisfait de son intervention, il rangea ses outils dans son véhicule et reprit la direction de la ville. Le soleil baissait fortement derrière la barrière montagneuse à l’ouest. A cette époque de l’année, les jours commençaient à rallonger mais les températures restaient relativement froides. Les cimes alentours étaient toujours habillées d’un épais manteau blanc. Philippe conduisait tranquillement en admirant ce paysage. Il avait passé une belle journée dans l’habitation de cette jeune famille. Bien que le garçonnet ne puisse parler, il avait accompagné l’installateur dans chaque pièce, le regard curieux. Philippe lui avait patiemment expliqué chacune de ses manœuvres. L’enfant n’avait pas bronché et paraissait réellement s’intéresser à son travail. Il avait particulièrement apprécié les techniques de raccordement à l’ordinateur central. Quelques minutes plus tard, Philippe rejoignait sa tanière et s’apprêtait à repartir aussitôt pour une montée nocturne.
Régulièrement, il équipait ses skis de randonnée de bandes autocollantes qui retenaient son pas durant ses ascensions. Une fois parvenu au sommet, il décollait les deux appliques de ses lattes et profitait de la descente, une lampe frontale éclairant son chemin. Il regagnait son antre vers dix heures et demie et s’endormait l’esprit léger, exempt de toute inquiétude. Bien que cette pratique fût courante dans les régions montagneuses, seuls les plus aguerris s’y risquaient de nuit.
*****
Depuis plusieurs semaines, les parents de Simon s’étaient habitués à employer Elodie dès qu’ils en avaient l’occasion. Elle était devenue une vraie centrale, au cœur de la maison, répondant à toutes les demandes formulées par ses maîtres. On l’actionnait pour un oui ou pour un non. Henri poussait même le vice jusqu’à demander l’allumage de la machine à café. Cela ne servait pas à grand-chose, dans la mesure où il devait insérer la capsule et pouvait tout à fait appuyer sur le bouton. Marie requérait souvent d’Elodie qu’elle coule le bain de Simon lorsque la famille était encore attablée. Le temps de terminer le souper, la baignoire était pleine.
Le printemps revenait. Henri et Marie consacraient une bonne part de leurs weekends à l’entretien des platebandes qui entouraient leur demeure. Elles étaient garnies de rosiers blancs, de différents arbres ainsi que de plantes à fleurs tantôt violacées, tantôt écarlates. Ces magnifiques teintes mettaient en valeur la construction encerclée par la verdure et les vignobles. Ce jour-là, le réseau d’eau non-potable, destiné à l’irrigation des vignes et des prés devait être remis en route. Marie se réjouissait année après année de cette transition. Elle pourrait arroser le gazon et les talus qui reverdiraient sous peu. Henri et son épouse avaient déjà terminé les préparatifs nécessaires. Les arbres et les rosiers avaient été taillés. Toute la végétation asséchée par la neige abondante et les frimas de l’hiver avait été défrichée. Les meubles de jardin avaient été installés de la façade ouest à l’angle est. Ce samedi était le premier qui permettait aux propriétaires de profiter d’un soleil encore timide sur leur terrasse.
Henri proposa à Marie de leur servir deux bières belges et de s’installer sur les fauteuils en osier exposés plein sud. Après une matinée physiquement ardue, passée à défricher les bois secs des plantes et des arbres, Henri estimait qu’il s’agissait d’une juste récompense.
-Avant ça, je dois descendre au local technique pour rediriger l’eau potable hors des circuits d’irrigation, lança la jeune femme. Mais je te rejoins aussitôt, compléta-t-elle avec entrain.
Il n’eut pas le temps de rétorquer quoi que ce soit que Simon lui emboitait déjà le pas pour participer à l’opération. Avant qu’elle n’eût atteint le seuil de la porte-fenêtre qui était largement ouverte, son mari la stoppa.
-Attends ! s’exclama-t-il adossé à son fauteuil. Elodie, dévie l’eau potable sur le circuit interne de la maison, commanda le jeune homme.
-Avec plaisir, rétorqua la voie féminine qui servait d’interface au système central.
-Venez vous rassoir et apprécions ce premier jour du printemps ensemble.
Ils s’installèrent confortablement dans les meubles d’osier garnissant la terrasse. Henri prépara un verre d’eau gazeuse pour son fils et tous trinquèrent au renouveau printanier. Après plusieurs minutes de conversation, Simon demanda la permission de vaquer à ses occupations en sautant de sa chaise avec un signe de la tête. Ses parents le libérèrent aussitôt et il fila à l’intérieur pour retrouver ses jouets. Marie comprenait qu’un enfant de cet âge se lasse des discussions de ses aînés.
Le garçon courut jusqu’au premier étage, transgressant la règle qui interdisait de se hâter dans les escaliers. Le grand hall lui paraissait complètement dédié. Le sol était habillé de deux grands tapis, dont les motifs représentaient des routes et des immeubles. A l’angle d’un carrefour, une automobile patientait devant un feu qui ne deviendrait jamais vert. Près de sa chambre étaient alignés deux coffres et plusieurs caisses de tailles variables, regorgeant de jouets et de jeux de toutes sortes. On trouvait également à l’opposé un immense canapé gris foncé dont les coussins avaient manifestement été utilisés comme projectiles. Il fondit sans hésiter sur son train en bois préféré. Ce jouet était remarquablement conçu. La complexité des wagons et des rails progressait avec l’âge de l’enfant mais toutes les pièces s’interconnectaient indépendamment de leur degré de sophistication. Il s’apprêtait à démonter son précédent circuit pour en imaginer un nouveau lorsqu’un bruit très léger mais continu dérangea ses plans. Il essayait de ne pas y prêter attention, se concentrant sur l’édification de sa ligne. Quelques minutes de ce récital exaspérant eurent raison de sa patience. Il dévala les deux rampes qui le séparaient du sous-sol. Au fond de la volée d’escaliers, il manqua de glisser sur une mince pellicule d’eau qui recouvrait le carrelage marron. Elle provenait de la buanderie quelques mètres devant lui, sur sa gauche. Il progressa dans le léger flux qui le repoussait et s’arrêta dans l’encadrement de la porte ouverte. Le liquide atteignait une vingtaine de centimètres de hauteur et s’écoulait rapidement depuis le local technique qui se trouvait à l’autre bout de la pièce. L’eau s’insérait bruyamment sous la porte de la salle attenante et jaillissait vigoureusement depuis le sol arrosant le carrelage déjà complètement immergé.
Pour observer le phénomène de plus près, il s’agrippa à la poignée de la porte et se propulsa à l’intérieur de la buanderie. L’eau s’engouffra violemment entre la paroi et l’autre face de la porte qui se referma brusquement jusqu’à claquer. L’enfant rebroussa chemin, entrainé par le liquide qui montait rapidement. Il tira sur la clenche de toutesses forces mais le poids de l’eau l’empêchait de se libérer. Il était pris au piège.
*****
Philippe rayonnait de bonheur. Le printemps reprenait ses droits, graduellement. En ce beau samedi, il rechaussait ses souliers de course. La neige avait fortement reculé durant la dernière semaine. Le soleil avait dégagé les chemins quasiment jusqu’à l’orée des alpages. Son terrain de jeu s’étendait de la plaine au pied des sommets alentours. Prévoyant, il avait planifié les sentes qu’il emprunterait grâce à une application cartographique. Il passerait par les chutes de la Rispaille qui se trouvaient entre les villages de Mischpe et Salquenone puis rejoindrait une voie bien plus ardue. Elle escaladait l’adret en ligne droite, offrant des pentes abruptes. Il parviendrait finalement jusqu’aux alpages de Warner où la neige le freinerait dans son élan. En fonction des conditions, il déciderait de redescendre ou de s’engager sur un chemin rejoignant la prise d’eau de la Rispaille. Il traversa son village qui proposait un secteur relativement plat et entama les premiers dénivelés. Le vignoble était quadrillé de petites routes qui servaient à acheminer le matériel et les outils destiné à la viticulture. Dans certains parchets, des ouvriers taillaient les ceps alignés en prévision des repousses. La région fourmillait de petites caves. Elles produisaient des nectars de grande qualité. Malheureusement, les quantités étaient souvent si faibles que l’entier de la production s’écoulait localement.
Le joggeur passa à la hauteur du panneau indiquant le village de Mischpe quelques minutes après son départ. Il bifurqua au nord à l’angle de la rue principale et poursuivit son chemin, passant devant l’église. L’édifice avait été rénové l’année précédente. Un grand nombre d’anciennes bâtisses avaient été rafraichies ces dernières années. Pour le surplus, de nouvelles habitations fleurissaient çà et là, sur ce côteau avantageusement exposé. La population avait crû si intensément que l’école avait dû être agrandie. Philippe s’imaginait parfaitement s’établir dans ce village où la vie semblait si douce. Dans l’épingle suivante, il emprunta une route transverse qui rejoignait directement les gorges de la Rispaille. La deuxième maison sur la gauche était celle qu’il avait équipé quelques jours plus tôt. Il aperçut Marie qui se dorait au premier soleil de mars accompagné de son époux. Il borda la maison d’un pas pressé. Les rayons du soleil frappaient directement la porte d’entrée. Ils traversaient l’encadrure vitrée semi-opaque. L’œil du technicien fut attiré soudainement. Il stoppa net et s’approcha. Des reflets inhabituels dansaient derrières les vitres. Il colla son visage contre un des interstices diaphanes qui permettaient de reconnaitre les visiteurs. Une eau limpide répercutait la lumière qui s’insérait dans la demeure, inondée.
Philippe eut tôt fait de contourner l’habitation et gravit le chemin pavé qui conduisait jusqu’à la terrasse. Arrivé en courant, il interpella les propriétaires des lieux sans leur dire bonjour :
-Il y a de l’eau dans la maison ! s’écria-t-il.
Henri manqua de tomber de sa chaise en bondissant de surprise.
-Que faites-vous là ? que se passe-t-il ? demanda Marie en se levant à son tour.
-Tu le connais ? questionna Henri avant que Philippe ne puisse répondre.
-Oui, c’est notre installateur ! Mais laisse-le parler, cria-t-elle ensuite.
-Votre hall d’entrée se remplit d’eau alors si vous êtes un peu curieux, je vous propose d’aller voir ce qui se passe, proposa Philippe ironiquement.
Marie s’engouffra dans la demeure suivie de près par Henri et Philippe. Elle s’arrêta dans le salon, leva les yeux en direction du deuxième étage pour apercevoir Simon. Il n’était pas en haut. Elle croisa le regard d’Henri. L’inquiétude se lisait sur leurs visages. Elle se jeta dans la cage d’escalier en appelant son fils.
*****
Le niveau d’eau s’élevait frénétiquement. Une pile de vêtements qui jonchait préalablement le sol, attendant son passage au lave-linge, flottait à présent dans la pièce. La température de l’eau ne dépassait guère les quelques degrés Celsius. Simon avait d’abord pris la situation comme un jeu. Une piscine, dans sa maison, quelle chance ! Désormais, il saisissait la gravité de sa situation. L’eau atteignait ses hanches. Il progressa péniblement jusqu’à la table adossée au mur, à l’autre bout de la buanderie. Il parvint à se hisser sur le plateau de hêtre, s’accordant quelques instants de répit. Le glacial liquide poursuivait son œuvre. Il se sentait légèrement soulevé à mesure que le niveau s’élevait. L’angoisse céda son siège à la panique. Encore quelques secondes et l’eau le submergerait.
*****
Marie, Henri et Philippe constataient les dégâts depuis les escaliers. Sans hésiter Marie, se lança à l’assaut des flots. Elle comptait bien stopper la montée des eaux. Arrivée devant la porte close, elle entendit des pleurs reconnaissables entre mille, ceux de son fils. Elle ressentit une peur immense l’envahir. Sans réfléchir, elle s’apprêtait à enfoncer la porte, lorsque soudain, quelques paroles leur parvinrent entre les plaintes du bambin :
-Elodie, éteins l’eau ! cria une voix tremblante derrière la porte.
-Je ferme l’arrivée d’eau, confirma Elodie docilement.
Marie, qui avait été rejointe par son époux et le technicien, entendait parler son enfant pour la première fois. La peur avait sorti le garçon de son mutisme. Son instinct de survie lui avait permis de prononcer cette phrase salvatrice et de penser à utiliser Elodie. Cette seconde d’émerveillement s’évapora au profit de l’urgence. Marie appuya de tout son poids contre la porte mais la pression appliquée par la colonne d’eau dans la pièce voisine l’empêchait d’ouvrir. L’eau ne progressait plus mais son petit garçon de quatre ans était enfermé dans une salle immergée.
-Es-tu sain et sauf ? demanda Marie sans réellement attendre de réponse.
-Oui maman, rétorqua Simon. Mais il y a de l’eau partout et j’ai froid, reprit le garçonnet.
-Reste où tu es, nous venons te chercher, répondit-elle partiellement rassurée.
Pendant ce temps, Henri s’était rendu au garage pour chercher un ustensile en métal. Il expliqua qu’il fallait entrouvrir la porte et intercaler l’objet dans l’embrasure. Ils pourraient ainsi appliquer un levier suffisant. Marie et Philippe s’épaulèrent contre la porte et poussèrent de toutes leurs forces. Henri, une main sur la poignée, s’apprêtait à glisser la barre de métal dans l’ouverture. La porte bougea faiblement, laissant s’échapper une grande quantité d’eau. Le niveau était monté à près d’un mètre. Henri fit pression pour élargir l’ouverture. La pression diminuant, Henri put rabattre complètement la porte. Marie le bouscula et s’engagea, telle une furie, à la recherche de son petit. Il était tranquillement assis sur la table, grelottant mais vivant. Elle le serra si fort qu’on aurait cru qu’elle l’essorait. Il respirait et en prime, il parlait. Elle entendit ces mots pour la première fois entre ses pleurs de soulagement :
-Je t’aime maman, souffla le petit en serrant sa mère avec ses minuscules bras.
Marie fondit en larmes, suivie d’Henri qui pressa promptement son épouse et son fils contre son large torse, sous le regard ravi de Philippe.
Après s’être séchée et changée, la petite famille convia Philippe pour le repas. Marie lui proposa une douche et quelques vêtements appartenant à son mari. Il accepta avec plaisir de se délasser avant les réjouissances qui prirent plusieurs heures. Les gens de la région étaient réputés de vrais exemples de savoir-vivre. La table était encombrée de viandes froides finement coupées, d’un plateau de fromages surdimensionné, de pains, de vin et d’une kyrielle d’autres mets alléchants. Le couple était de fréquentation très agréable. L’après-midi s’annonçait sous les meilleurs auspices. Simon, pour sa part, n’en finissait plus de parler. Il voulait s’entendre prononcer chaque chose, chacun de ses jouets et chaque objet. Suite à un nombre incalculable de remerciements, Philippe rentra chez lui. Il ne s’était pas totalement réconcilié avec la technologie, mais son aversion s’estompait. Son installation avait permis à ce petit garçon si attachant de commencer à parler et d’éviter un destin tragique. Il rangea ses affaires et s’allongea sur son lit, ses doigts croisés accueillant sa tête. Il revit le film de cette folle journée. Il ressentait une plénitude unique. Même à l’abord des plus hauts sommets, il ne s’était jamais senti aussi vivant.