Voici la réponse à quatre questions posées à Abigail Seran, auteure de Marine et Lila (2013) et Une Maison jaune, à paraître au mois d’août…
1 ) Dans Une Maison Jaune, vous tissez habilement une histoire avec trois époques, trois héroïnes, trois fils narratifs. Est-il difficile de mener parallèlement trois histoires qui doivent révéler leur lien à la fin ? Avez-vous construit votre roman linéairement, tel que le lecteur le découvre, ou avez-vous écrit chaque histoire à part et découpé et intercalé les différents chapitres ensuite ?
Je les ai écrit linéairement, trois époques à la fois, ce qui a rendu le travail un peu plus ardu, notamment du fait qu’il fallait d’assez longues périodes d’écriture pour pouvoir couvrir à chaque fois les trois périodes. J’ai fait ce choix afin de maintenir les trois histoires au même niveau et d’éviter que l’une ne phagocyte les autres. Je souhaitais aussi essayer de garder des thématiques qui guident le lecteur dans les changements d’époque. La musique, les relations aux parents, les émois amoureux, j’ai essayé que ces sujets se retrouvent dans des moments un peu similaires afin de permettre au lecteur de ne pas se perdre dans les sauts d’époques. Et pour faire cela il fallait donc écrire de manière synchronisée le récit des trois héroïnes. Le texte final correspond donc bien à ce que j’ai écrit au fur et à mesure. Le plus compliqué a été en fait de faire correspondre le timing pour que les éléments à révéler arrivent au bon moment…
2) Marine et Lila aborde le thème du don d’organes, Une Maison jaune présente trois portraits de femmes, et aborde notamment le sujet du passage de l’enfance à l’âge adulte. D’où vous viennent vos idées?
La question du don d’organe me touche particulièrement et les personnages étaient, comme souvent je crois dans un premier roman, assez proches de moi. Pour le deuxième, j’ai eu envie de corser un peu le travail en abordant trois histoires. La période de transition de l’adolescence me semblait idéale. J’avais envie de parler de cette période où tout est à venir, avec les doutes, les enjeux particuliers de ce moment. Et traverser le vingtième siècle permettait aussi de mettre en abîme l’évolution qu’il y a eu pour les femmes en 70 ans. J’aurais de la peine à vous dire d’où viennent les idées, il s’agit peut-être plus de thèmes qui me parlent et que j’ai envie de mettre en lumière, voire de défendre, sous le couvert de la fiction.
3) Parallèlement à la sortie d’Une Maison Jaune sortent les Chroniques d’une maman ordinaire aux Editions Favre. Planifiez-vous et réalisez-vous différemment l’écriture d’un roman et celle de chroniques, et si oui pouvez-vous nous expliquer comment?
La démarche est effectivement très différente. Concernant les chroniques elles ont commencé comme un jeu. Au début l’idée était d’en faire quelques-unes pour s’amuser. Une amie m’a dit que je devrais en faire un blog. Puis je me suis dit que je pourrais en faire 52 pour couvrir une année entière en en publiant une chaque semaine et ainsi accompagner la sortie de Marine et Lila. L’idée de les faire illustrer et de les publier sur papier est venue ensuite. C’est une impulsion, il faut que le lecteur tombe dans le sujet et qu’il y ait une chute, si possible drôle ou prêtant à sourire. Il s’agit plus de trouver l’anecdote et le ton, d’être percutante. Un roman se construit, il faut tisser une toile, mettre des accroches qu’on utilisera plus tard. Les personnages doivent prendre de l’épaisseur, l’histoire se nouer et se révéler. La gestation est plus longue. Et puis les chroniques sont assez autobiographiques tandis que les romans, même si ça et là on retrouve un peu de moi, sont vraiment complètement des œuvres de fiction. En terme scénique on pourrait dire que les chroniques sont du stand up et le roman une pièce de théâtre en plusieurs actes: le rythme est différent, le but aussi. Et la manière d’écrire correspond donc pour moi à ces deux approches.
4) Quels sont les auteurs et auteures qui vous inspirent à écrire?
J’aime qu’on me raconte des histoires alors j’apprécie les auteurs contemporains comme Delphine de Vigan, Véronique Olmi, Véronique Ovaldé, Alex Capus notamment, mais il y en aurait tant d’autres à citer. J’ai une tendresse particulière pour Erik Orsenna qui est un gourmand de la langue française et qui m’a fait découvrir et aimer Nabokov avec Deux étés. J’aime beaucoup aussi Kessel qui crée des atmosphères qui vous hantent, des personnages forts. Et Proust pour sa capacité incroyable à dessiner une époque dans des phrases sans fin. Je ne sais pas si j’oserais parler d’inspiration, ils sont autant de références que je lis avec admiration et respect. J’essaie de lire des auteurs de différentes époques et contextes, puis de tracer ensuite mon chemin en ne réfléchissant pas trop à tous ces textes magnifiques, sinon je crois que cela me bloque et, en fait, m’empêche plutôt d’écrire. Mais certainement que, sans que je ne m’en rende vraiment compte, ils m’influencent et laissent des traces dans ma manière d’écrire…