Ils regardaient ensemble une horloge murale avec son cadre octogonal de bois verni et ses lourdes aiguilles de fonte, reprenaient leur travail. Lucien était heureux d’avoir pu caler sa jeunesse dans ce local froid, mi-cave, mi-vitrine sur la rue de Bourg et d’apprendre ce métier de typographe qui imposait, dès le départ, une belle dextérité pour prendre les lettres à même la casse, les assembler, les justifier, former des lignes, puis des colonnes, enfin des pages.
Ce gros travail épais et fort brûlait les minutes, les heures. Combien de fois il avait été surpris par l’arrivée de la femme d’Onésime, une belle commère d’autant plus grande que son mari était petit, venue leur apporter une gamelle vers neuf heures, puis au milieu de la journée et le soir vers sept heures. Une fois par jour le jeune apprenti allait dans le voisinage chercher du pain à une boulangerie proche. Du pain nourrissant, plutôt gris, en tout cas pas trop blanc. Quelques bouchées plus loin, les deux typos retour- naient à leur travail. À tout instant le jeune apprenti interrogeait Fernand:
– Comment appelle-t-on ce caractère?
Le compagnon faisait sauter la lettre par jeu dans sa paume avant d’énoncer une série de mots nou-veaux qui entraient dans la mémoire de l’apprenti:
– Antique litho, Cheltenham, Firmin Didot, Bembo, Grotesque…
Il prenait la lettre, la mettait dans la lumière:
– Que tu saches bien: tout ce qui est le plomb lourd, le fût jusqu’à la base de la lettre, c’est la hauteur en papier. Au-dessus, toute cette gravure fine, délicate qui finit avec le tranchant de la lettre, c’est la hauteur d’œil. Le papier c’est lourd, l’œil c’est malin: rappelle-toi !
Fernand relançait du pied le mouvement de sa machine à cylindre tandis que Lucien manœuvrait les casses, les faisait glisser sur des cornières de fer, asseyait sur le plan incliné du rang celle qu’il avait choisie. Quelque temps ils travaillaient ainsi sans aucun bruit sinon le glissement continu de la ma- chine sur ses galets. Puis Fernand commandait:
– Petit, les becs.