Quand les mouettes ont pied – Extrait

Quand les mouettes ont pied – Extrait

Quand les mouettes ont pied – Extrait

 

« En suivant le chemin qui s’appelle plus tard
on arrive à la place qui s’appelle jamais. »
Sénèque

« Il ne nous reste plus beaucoup de temps pour prouver
que nous ne sommes pas les produits d’une mutation létale. »
Luke O’NEIL

« L ’histoire a montré que l’improbable est possible
quand la contrainte est imparable. »
Edgar MORIN

« La fatalité veut qu’on prenne toujours les bonnes résolutions trop tard. »
Oscar WILDE

 

GEORGES

Georges n’aime rien, dénigre tout.

De ses dix-huit ans il n’attend que la liberté de cultiver son indifférence. Grassouillet, englué dans un reste de gangue pubertaire, ce noiraud, pâle et moite des mains, s’habille de noir, car sa sympathie va aux postures nihilistes et désenchantées des gothiques. Son goût pour le gothisme n’est que le reflet de sa passivité. Bien trop indolent pour s’intéresser à des pratiques sataniques ou à des conciliabules nocturnes dans les cimetières, il est si ambivalent qu’il ne s’est jamais décidé au moindre tatouage ou piercing.

Georges est le petit dernier de la famille d’Elorac. Aimé par Paul, son père, qui s’évertue à le stimuler, il est révéré par sa mère Madeleine qui ne voit, pour ce fils d’exception, qu’un avenir grandiose, hors du commun.

Lui n’a que mépris pour l’avenir, ne se prépare à rien, ne souhaite rien. Il se limite à blaguer avec ses potes gothiques, sans faire l’effort de les voir, se satisfaisant, sous un pseudonyme, d’une communication sur son blog. Solitaire, il s’abstrait du monde en se réfugiant dans les bulles des auteurs. Ses préférés sont Lautréamont, Baudelaire, Nietzsche, même s’il ne comprend pas toujours, Christine Angot, et tant mieux si elle le dégoûte, ou Thomas Bernhard, et tant pis s’il lui fait un peu peur. Georges est un mou, à force de scepticisme et d’indécision. Taiseux, il neutralise ses pulsions en les théorisant, en les décortiquant pour les anéantir. Que peut donc bien contenir un bonnet de soutien-gorge ? Y-a-t-il réellement un intérêt à convoiter la vue ou le toucher d’une glande ? Sans compter l’effort de séduction à consentir pour y parvenir. Fuyant les contraintes de la réalité, il s’adonne à la navigation sur la toile. À journées faites, même par beau temps, il y recherche, comme autant de miroirs à son indécision, mille raisons le confortant dans son scepticisme. Georges se refuse à produire quoi que ce soit, ne serait-ce pour son plaisir qu’il considère comme superflu, voire incongru, sans sujet ni objet. Il déteste les séries télé. Les Revenantsou Game of Thronesle font gerber, comme il dit. L’alcool ? Certainement pas. Le mysticisme ? Non merci, trop abstrait pour ne pas consommer une énergie qu’il ne saurait où trouver. Idem pour le sexe. Il faudrait trop s’impliquer. Mieux vaut oublier, se débrouiller ou s’en tenir à ses pollutions nocturnes. au sport il préfère le démontage et le remontage d’un mécanisme d’horloge, de pompe ou de moto. il déconstruit. Comme si c’était encore à la mode. Pour refaire ensuite à l’identique et s’assurer ainsi que rien ne change.

 

Pourtant, bien des changements se sont succédé autour de lui. Son père Paul voyage de plus en plus depuis qu’il fait partie du GIERC1au titre d’expert en énergies renouvelables. Rarement chez lui, il demeure en contact avec les siens par e-mail. Madeleine, la mère de famille, a repris son métier d’infirmière, maintenant que ses deux aînés, Judith et Julien, ont quitté la maison. Compulsivement disciplinée, levée chaque matin la première, se voulant irréprochable, allant au-devant des besoins de chacun, elle a choisi, dans une sorte d’élan expiatoire, l’éprouvante tâche de s’occuper des mourants dans une unité de soins palliatifs.

Judith, grande, mince et belle comme son père, auquel elle demeure attachée par son amour de petite fille, a fini par quitter le foyer familial qu’elle sentait envahi par une oppressante présence de non-dits. Elle a obtenu, avec félicitations, son brevet de pilote d’hélicoptère et s’est vu recrutée dans le corps des sapeurs-pompiers secouristes. Les horaires contraignants, les imprévus de l’urgence et les risques de missions périlleuses la confortent dans son choix du célibat, et sont, à ses yeux, largement compensés par le plaisir de voler, la conscience d’être utile et l’attrait de l’aventure. Georges admire sa sœur.

Julien, né à peine deux ans après Judith, est parti le premier. Convaincu de perdre sa vie s’il ne la donne pas à autrui, il a rejoint une congrégation de franciscains. Il y est novice et très heureux de s’occuper de SDF. Georges ne comprend pas son frère.

Quant à lui, que dix ans séparent de Judith et huit de Julien, il vient de passer son bac, mollement, par concession aux attentes de ses parents, mais sans trop savoir quelle porte ouvrir avec ce sésame. Car, pour cela, il faudrait choisir. Or choisir c’est dépenser l’énergie de renoncer. Ici encore, mieux vaut s’abstenir.

Irrésistiblement irrésolu, ce garçon trouvera pourtant sa voie lorsqu’il aura été happé par une cause embrassée comme l’antidote à son désarroi.

 

  1. Groupe international d’Études du Réchauffement Climatique.

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